Nombreux sont ceux qui considéraient que l’avènement du numérique sonnerait le glas de la photographie. Dans son ouvrage éclairant, Contre-culture dans la photographie contemporaine, Michel Poivert révèle comment le médium a su au contraire se réinventer, porté par une nouvelle génération de praticiens qui, à travers leurs expérimentations, proposent une définition élargie de ce qu’est la photographie aujourd’hui.
Ces artistes offrent une nouvelle vie à des photographies vernaculaires ou revisitent des procédés anciens, tels que le cyanotype et le photogramme, la chambre photographique et le sténopé. Ainsi, l’artiste Driss Aroussi réalise des monotypes poétiques à partir de Polaroids périmés. Léa Habourdin se saisit quant à elle de la technique de l’anthotype afin de produire des clichés à partir de substances naturelles, inoffensives pour l’environnement.
UNE CRISE D’IDENTITÉ SALUTAIRE
Leur pratique passe également par une hybridation entre analogique et numérique ainsi que par l’utilisation d’arts manuels comme la broderie ou la peinture. Cela permet notam-ment à l’artiste Samin Ahmadzadeh de renouer les fils qui la relient à son histoire familiale par la méthode du tressage, qu’elle applique à des tirages déchirés au préalable. D’autres encore amplifient des photographies au sein d’installations, à l’instar de Camille Winant, dont les énormes blocs de béton sont incrustés de clichés sur le thème de l’autodéfense féminine, ou Daisuke Yokota qui imprime des vues nocturnes sur de longs rouleaux pour évoquer l’es-pace mental des sentiments et de la mémoire.
Toute cette contre-culture est parvenue à se libérer d’une conception restrictive de la pho-tographie comme simple image. Elle oscille désormais entre représentation et objet tangible. Une crise d’identité salutaire qui per-met d’interroger le statut même de l’image dans notre société et d’appréhender le monde sous un œil nouveau, voire d’en « inventer de nouveaux ». Car, pour Michel Poivert, ces expérimentations répondent aux grands défis, éthiques et écologiques, de nos sociétés : « Alors que l’on cultive autrement, que l’on circule autrement, que l’on consomme autrement, ne peut-on pas photographier autrement ? »
Anthologie d’une grande richesse, Contre-culture dans la photographie contemporaine met en lumière une série de pratiques à la
fois poétiques et engagées qui, loin d’être marginales, constituent le socle de la photo-graphie contemporaine.
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Michel Poivert, Contre-culture dans la photographie contemporaine, 2022, Paris, Textuel, 304 pages, 59 euros.