On connaissait la passion partagée de Man Ray et de Marcel Duchamp pour les échecs – tous deux ont d’ailleurs joué ensemble. Mais pas l’ampleur que le jeu d’échecs, qui permet de « ressentir le frisson véritable de la guerre, sans effusion du sang des soldats », avait eue dans la production artistique moderne. Tel est le propos de ce bel ouvrage très documenté, riche en photographies insolites (dont celle du tournoi d’artistes à la Julien Levy Gallery en 1945 à New York), sans doute le plus complet et le plus structuré à ce jour : l’examiner sous un angle esthétique, au fil des grands courants du XXe siècle, dans une approche chronologique. L’auteur, l’historien d’art Romain Morandi, vient d’ailleurs de consacrer cet automne une exposition à partir de sa propre collection dans sa nouvelle galerie de Saint-Germain-des-Prés, à Paris.
DÉCLINAISON EN TOUS GENRES
Les plus grands noms de l’art, du design ou de l’architecture défilent ici, d’Alexandre Rodtchenko à Zaha Hadid en passant par Alexander Calder, Yayoi Kusama ou Damien Hirst… Provenant vraisemblablement d’Inde, le jeu d’échecs a inspiré la plupart des écoles et des courants d’art. Les pages consacrées aux ateliers viennois (Wiener Werkstätte) révèlent des commandes spéciales surprenantes. Le Bauhaus, en Allemagne, bouscule les règles de la figuration vers l’abstraction. Le surréaliste André Breton crée un échiquier de verres de vin blanc et rouge. Les Soviétiques y voient matière à combattre les capitalistes. Parmi les 300 modèles présentés – dont ceux du Nouveau Réalisme ou du pop art – se glissent des déclinaisons plus effrayantes, telles celles du steampunk ou du réalisme fantastique. Jusqu’à l’installation de Paul McCarthy faite à partir d’objets ménagers.
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Romain Morandi, Chess design, Paris, Éditions Norma, 2022, 304 pages, 49 euros.