« Je me confronte à la tyrannie des images… ou à la tempête des images…, déclare Robert Longo qui expose actuellement à la Galerie Thaddaeus Ropac à Paris. Mais je pense que ce travail va finalement me libérer. J’ai cet objectif. J’ai réalisé trois œuvres majeures dans ma vie et j’espère pouvoir en réaliser une de plus. J’aimerais me libérer de ce que j’ai fait ».
Robert Longo est artiste, mais aussi cinéaste – il a réalisé des films comme Johnny Mnemonic, Les Contes de la Crypte, et la vidéo pour The One I Love du groupe REM –, photographe, musicien…
« The New Beyond » s’inscrit dans la continuité de son exposition de 2014 « Gang of Cosmos » chez Metro Pictures à New York pour laquelle il avait réalisé des dessins d’après une sélection d’œuvres expressionnistes abstraites en noir et blanc. Cette fois-ci, il s’est attaqué à l’art européen d’après-guerre, s’emparant d’œuvres de De Kooning, Dubuffet, Klein, réalisées au fusain.
« Je me suis rendu compte que les Européens étaient très différents des Américains. J’ai vécu à Paris pendant trois ans. Je me souviens que je me promenais dans les musées et que je voyais des gens faire des copies de Rembrandt, du Caravage ou de Cézanne. Mais, en Amérique, notre art classique est l’expressionnisme abstrait », déclare-t-il.
C’est une autre série de travaux s’étendant sur un temps long, les « chefs-d’œuvre absolus », qui l’a incité à cette pratique consistant à recréer des ensembles de peintures iconiques sous la forme de dessins.
Récemment, Robert Longo a passé beaucoup de temps à réaliser des dessins au fusain photoréalistes de moments historiques importants – un champignon atomique, une caravane d’immigrants marchant dans le désert dans l’Amérique de Trump ou un char d’assaut entrant dans Prague en 1968 –, à tel point que la production de ces images hyperdétaillées a été épuisante. Parallèlement à la préparation de cette exposition, l’artiste a également travaillé à une série de compositions montrant les troubles du monde, de l’impact de la pandémie du Covid-19, aux inégalités et à l’invasion russe de l’Ukraine, en passant par certaines des grandes manifestations qui ont eu lieu aux États-Unis en réaction aux atteintes au droit des femmes à l’avortement et en soutien à Black Lives Matter. Ces œuvres sont présentées dans l’exposition « Sea of Change » à la Pace Gallery à Los Angeles jusqu’au 17 décembre.
C’est en partie suite à ce travail qu’il s’est tourné vers l’art européen d’après-guerre, car ces artistes, vivant dans une période post-conflit, ont trouvé une voie de guérison dans l’art.
« J’ai vraiment pensé à cela pendant cette période… Est-ce que le monde va si mal ? Je voulais voir comment ces artistes ont fait face à la nature barbare du monde et comment je parvenais à trouver une façon de mieux faire d’une manière ou d’une autre », affirme-t-il.
Robert Longo a abordé spécifiquement chaque œuvre dont il a créé un dessin « d’après ». Chaque composition, qu’elle soit de Wols ou de Klein, exige une approche différente. Recréés à partir de photographies de très haute résolution de chacune des œuvres originales, les dessins tirent parti de la blancheur du papier, les tons les plus noirs étant appliqués en dernier. Une fois qu’il a trouvé une façon d’aborder l’œuvre, il travaille avec une équipe d’assistants sur le processus minutieux de réalisation – comme il le souligne, il ne tire pas seulement parti du coup de pinceau mais aussi de son ombre portée. « La transposition de ces œuvres est très délicate parce que je ne travaille pas à partir du noir et blanc, mais à partir de la couleur, explique-t-il. Je ne procède pas à partir du noir et blanc car il est vraiment approximatif. Ainsi, un rouge foncé et un vert foncé apparaissent de la même façon en noir et blanc, alors je travaille à partir des couleurs. Quand vous regardez ces dessins en cours de réalisation et qu’ils sont accrochés au mur, on dirait un laboratoire médico-légal où l’on essaie de résoudre un meurtre ou quelque chose comme ça ».
En entrant dans l’exposition « The New Beyond », le visiteur reconnaît instantanément ces œuvres emblématiques, mais en les voyant différemment, il les redécouvre. Par leur changement d’échelle ou leur mise en parallèle avec ces « chefs-d’œuvre absolus » (on ne peut s’empêcher de considérer ces œuvres comme ayant atteint un certain « absolu » dans l’histoire de l’art), les dessins de cette exposition obligent le visiteur à reconsidérer des images qu’il pensait connaître.
« J’ai passé beaucoup de temps à me documenter sur tous ces artistes, et ce que j’ai découvert est fascinant, dévoile-t-il. Il y avait un incroyable flux de personnes venant d’endroits différents, de Paris à Amsterdam… Et ils se connaissaient tous, ce que j’ai trouvé assez incroyable. J’ai donc commencé par Dubuffet, et la dernière œuvre que j’ai faite, c’est Manzoni, puis j’ai découvert que Manzoni connaissait Klein, et qu’ils sont morts tous les deux à peu près au même âge. Il existe beaucoup de connexions ».
Robert Longo nous dévoile aussi vouloir changer de direction pour la prochaine phase de sa carrière. Bien qu’il n’en dise pas plus, il révèle qu’il s’agit d’une pratique véritablement nouvelle et qu’il prend plaisir à s’y aventurer. « J’ai un petit atelier secret pour expérimenter, mais personne n’a encore vu ce que j’y fais », dit-il. Compte tenu de la carrière de Robert Longo, de la réalisation de films à sa pratique artistique de plusieurs décennies, on a hâte de découvrir les nouveaux développements de son œuvre.
« Robert Longo. The New Beyond », jusqu’au 23 décembre 2022, Thaddaeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003 Paris