L’artiste Dorothy Iannone, qui a sans tabou rendu hommage à l’expérience sexuelle féminine et combattu la censure, est décédée à l’âge de 89 ans. Son décès a été confirmé dans un post sur Instagram par sa galerie Air de Paris, basée à Romainville, dans le Grand Paris.
« L’amour et la liberté ont été au cœur du travail de Dorothy Iannone pendant six décennies, avec toute sa vigueur jusqu’à sa mort inattendue [le 26 décembre], a déclaré la galerie dans un communiqué. Elle nous manquera profondément car elle était une artiste originale, un être intellectuel et engagé, une amie des plus aimantes, amusantes et attentionnées ».
Dorothy Iannone est née à Boston, dans le Massachusetts, en 1933 et a étudié la littérature américaine à la Brandeis University (Waltham/Boston). Selon sa biographie publiée par Air de Paris, Dorothy Iannone a commencé à travailler « en tant que peintre autodidacte » en 1959. Elle a ensuite expérimenté divers médias, le dessin, le collage, la vidéo et la sculpture, s’inspirant des peintures égyptiennes et des mosaïques byzantines. Une série d’œuvres réalisées en 1968, comme Ease at the Helm, associe des croquis au feutre à des Polaroïd.
Entre 1961 et 1967, Dorothy Iannone et son mari James Upham ont voyagé à travers l’Europe et l’Asie, ajoute la galerie : « Ils ont vécu et travaillé pendant plusieurs mois en différents lieux, dont Kyoto au Japon. Dans cette ville, elle commence une série de collages. Dans ses œuvres influencées par l’art traditionnel japonais sur papier, des éléments orientaux et les peintures de l’École de New York, différentes formes et cultures sont associées ».
Sa détermination a été mise à l’épreuve en 1961 lorsqu’elle a intenté un procès au gouvernement américain après que des douaniers eurent confisqué son exemplaire du roman Tropique du cancer (1934) de Henry Miller à l’aéroport d’Idlewild, à New York. Grâce à cette action en justice, les livres de Miller ont ensuite été librement diffusés aux États-Unis après une censure de 30 ans.
En 1975, l’artiste Fluxus français Robert Filliou a déclaré : « Depuis de nombreuses années, Dorothy Iannone explore, à travers son œuvre visuelle, ses livres et ses disques, le monde de l’amour et les formes de l’amour. Dans sa recherche originale, elle mêle habilement images et textes, beauté et vérité. C’est une combattante de la liberté, une artiste énergique et dévouée. Son objectif n’est rien de moins que la libération humaine ».
Au début du XXIe siècle, l’œuvre de DorothyIannone a commencé à être réévaluée par la critique. Son installation I Was Thinking of You (1975) – une boîte peinte d’une scène d’amour, abritant un moniteur intégré diffusant une vidéo en gros plan du visage de l’artiste en train de se masturber – a été réalisée dans différentes versions pour des présentations au sein de la Wrong Gallery de la Tate Modern à Londres, en 2005, et à la Biennale du Whitney Museum à New York en 2006.
Une étape importante pour sa reconnaissance a eu lieu en 2009, lorsque le New Museum à New York a accueilli sa première exposition personnelle dans une institution américaine. « Depuis les années 1960, Dorothy Iannone n’a cessé de dépeindre la sexualité féminine comme une expérience de transcendance, d’union et de spiritualité. Iannone travaille à la première personne, racontant sa vie et ses ébats amoureux sur le bois, la toile, le papier et le tissu, ainsi qu’à travers la vidéo et le son », indiquait un communiqué du musée.
En 2017, une sélection d’œuvres de Dorothy Iannone a été présentée sur la foire Frieze London dans une section spéciale intitulée « Sex Work : Art féministe et politique radicale ». Tous les artistes présentés dans « Sex Work » ont été confrontés à un moment ou un autre à la censure. Iannone a déclenché une controverse en 1969 lorsque le directeur de la Kunsthalle de Berne lui a demandé de recouvrir une œuvre montrant des organes génitaux. L’artiste Dieter Roth, compagnon et « muse » de Iannone de 1967 à 1974, a en réponse retiré ses œuvres de l’exposition et le commissaire, Harald Szeemann, a démissionné de son poste. Dans un témoignage publié sur le site Internet d’Air de Paris, Dorothy Iannone écrit : « mon œuvre a été retirée le matin du vernissage et, en signe de protestation, le lendemain, Dieter Roth a retiré toute sa contribution à l’exposition. Après Berne, l’exposition devait être présentée à la Kunsthalle de Düsseldorf [Allemagne]. Dieter Roth est resté sur ses positions et il n’a accepté de participer à l’exposition que si mes œuvres y étaient réintégrées. Après de nombreuses et pénibles discussions entre les participants, Karl Ruhrberg, le directeur de la Kunsthalle de Düsseldorf, s’est courageusement prononcé en faveur d’une exposition non censurée ».