Les conservateurs de musée et les artistes espèrent avec prudence que le président élu brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, dit « Lula », apporte son soutien au secteur artistique du pays et rétablisse pleinement le ministère de la Culture, après sa suppression par l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Lula a prêté serment le 1er janvier à Brasília et a été investi pour un troisième mandat de président un lors d’une cérémonie à Brasília. Dans son discours, le nouveau dirigeant a promis de rebâtir un pays en « terribles ruines ».
Le nouveau président avait annoncé en décembre la nomination de la chanteuse bahianaise Margareth Menezes au poste de ministre de la Culture de son nouveau gouvernement. Le cabinet de transition de Lula comprend également un secrétaire à la Culture, Márcio Tavares, le poète Antônio Marinho, la politicienne Áurea Carolina, l’actrice Lucélia Santos et Juca Ferreira, qui a été ministre de la Culture entre 2008 et 2010. L’équipe s’emploiera à mettre en place des programmes publics et à redéfinir le rôle du secteur culturel dans la politique brésilienne, notamment en renforçant son financement, considérablement réduit sous le mandat de Jair Bolsonaro.
Cette initiative contribue à mettre un terme aux « guerres culturelles » qui font rage au Brésil et ont conduit à une censure accrue, certains artistes étant confrontés à une réaction brutale de la part de groupes politiques conservateurs.
« Je suis optimiste quant au retour de [Lula] au pouvoir, déclare Raphael Fonseca, conservateur adjoint en charge de l’art moderne et contemporain latino-américain au Denver Art Museum, aux États-Unis. En premier lieu, il va rétablir un ministère de la Culture, une entité essentielle démantelée par le gouvernement Bolsonaro. »
Lula a précédemment dirigé le pays de 2003 à 2010, remportant deux élections présidentielles. À la fin de l’année dernière, il est arrivé de peu en tête lors du second tour du scrutin présidentiel brésilien, après avoir purgé plus d’un an de prison, ayant été accusé de corruption. Selon un journaliste brésilien, qui préfère rester anonyme, « Bolsonaro a obtenu la majorité au Congrès et au Sénat, ce qui rendra la gouvernance [de Lula] très difficile. Le Brésil étant un système multipartite avec de nombreux partis politiques – environ 30 –, il reste à voir comment voteront les parlementaires qui n’appartiennent pas au parti de Bolsonaro mais qui sont ses alliés. »
Jair Bolsonaro a dissous le ministère de la Culture le premier jour de sa présidence en 2019, le remplaçant par un ministère de la Citoyenneté. Parmi les nombreuses promesses de campagne de Lula figurait celle de rétablir le ministère de la Culture et d’augmenter les bénéfices à la loi Rouanet, une incitation fiscale fédérale destinée à financer des projets culturels que Jair Bolsonaro avait ouvertement accusé d’encourager la corruption (il a ensuite réduit cette source de financement de plus de 50 %).
La décision de Lula de restaurer le ministère de la Culture a été saluée par les personnalités du monde de l’art brésilien, qui restent prudentes quant à l’avenir. Certains commentateurs culturels se demandent si Margareth Menezes sera apte à remplir sa mission.
« Le plus grand défi du gouvernement de Lula était de choisir un ministre de la Culture qui comprenne la complexité, la sophistication et le cosmopolitisme de l’art et de la culture brésiliens et qui les propulse sur la scène mondiale, explique Gaudêncio Fidelis, historien de l’art et conservateur brésilien. Cette personne doit également comprendre le réseau des musées sous tutelle du gouvernement fédéral qui ont connu des difficultés, et investir suffisamment financièrement pour les rendre forts, inclusifs et capables de générer des contenus de premier plan. »
Selon lui, la nouvelle ministre devrait également promouvoir des programmes ambitieux de restauration et d’exposition pour les musées et, surtout, essayer de combattre la censure provenant d’un certain nombre de secteurs de la société brésilienne, soulignant que « ce ne sera pas une tâche aisée ».
Gaudêncio Fidelis a été confronté à l’idéologie conservatrice dominante. Une exposition d’art queer qu’il a organisée en 2017 au centre culturel Santander de Porto Alegre, dans le sud du Brésil, a été fermée à la suite de la pression de militants d’extrême droite. « Queermuseum : Cartographies of Difference in Brazilian Art » a suscité un tollé après que des manifestants du Mouvement Brésil Libre (Movimento Brasil Livre), un groupe de pression d’extrême droite, ont accusé l’exposition, et par extension Gaudêncio Fidelis, de promouvoir le blasphème, la pédophilie et la bestialité. Sur les 264 œuvres présentées dans l’exposition, les manifestants ont pointé du doigt les pièces de quatre artistes, dont Antonio Obá, qui a exposé Et Verbum (2011), un paquet d’hosties recouvertes de mots tels que « vulve » et « trou du cul ».
Cette querelle est symptomatique des guerres culturelles qui ont embrasé le Brésil ces dernières années, les artistes étant une cible facile pour les chrétiens évangéliques (pentecôtistes et néo-pentecôtistes) qui constituent toujours le socle de la société brésilienne. Raphael Fonseca affirme que l’impact est considérable. « Il est insensé de penser qu’un pays multiculturel comme le Brésil a été menacé par une "guerre culturelle" pendant la présidence de Bolsonaro ; les institutions ont eu peur de monter certains projets, les expositions ont été censurées, des professionnels influents ont perdu leur emploi, déplore-t-il. J’ai même vu un cas récent où la conception d’une exposition [au Brésil] a été examinée à la loupe parce qu’un groupe de bureaucrates a commencé à trop problématiser un élément spécifique. Nous espérons vivre dans un environnement où le fondamentalisme religieux, et son hypocrisie, ne deviennent pas un fantôme quotidien. »
L’artiste Lucas Simões, basé à São Paulo, pense qu’il y aura moins de fondamentalisme, même si de son point de vue les nouveaux Sénat et Congrès restent « très conservateurs ». « Même si la restauration du ministère de la Culture entraîne beaucoup de concessions, c’est le passage obligé pour un meilleur avenir pour le pays », estime-t-il. Pour autant, les artistes et les institutions artistiques en tireront-ils un quelconque avantage ? « Je le crois, répond-il. Mais je ne pense pas que cela se produira immédiatement ; les dommages causés par [Bolsonaro] prendront du temps à être réparés. »