L’exposition « Louis XV. Un moment de perfection de l’art français » voulue et portée par Valéry Giscard-d’Estaing – la préface n’était pas un texte prémâché par un communiquant ! – est une référence absolue pour les dix-huitièmistes. Presque cinq décennies plus tard, sa concrétisation au château de Versailles, à l’occasion du tricentenaire du sacre de Louis XV, était donc un événement très attendu. Et les commissaires Yves Carlier et Hélène Delalex ont mis les petits plats dans les grands ! Un florilège de chefs-d’œuvre attend les visiteurs. Le service réalisé par Jacques Roëttiers pour le château de Berkeley, au Royaume-Uni, seul service d’orfèvrerie parisienne du XVIIIe siècle conservé en mains privées, n’avait pas été vu depuis son acquisition en 1960. Le spectaculaire calice et la patène en or commandés par Marie-Josèphe de Saxe pour être offerts au sanctuaire de Saint-François-Xavier de Radmirje, en Slovénie, s’y trouvaient toujours, encore fallait-il songer à les y chercher. La paire tout à fait inédite de bras de lumière en bronze doré fait aussi tourner bien des têtes !
INCLINATIONS PERSONNELLES
Bienvenue à Versailles ! En prenant le parti de circonscrire leur propos aux « passions d’un roi », les commissaires n’ont pas eu la vocation d’embrasser tous les aspects d’un des plus longs règnes de l’histoire de France, mais justement d’être au plus près de l’homme d’État. Une page donne le ton : l’« Estat general des princesses en Europe qui ne sont pas encore mariées ». On appréciera ainsi : « Des cens princesses qu’il y a à marier en Europe, en en retranchant 44 qui sont trop agées pour être mariées à un jeune prince ; 29 qui sont trop jeunes ; 10 dont l’alliance ne convient pas, il ne reste par consequent que 17 princesses sur lesquelles on puisse jetter les yeux. » Les curieux aimeront savoir que le financement du très coûteux train de vie de Marie-Louise O’Murphy était assuré par l’État en raison de ses services rendus au Royaume – les documents d’archives mis au jour par Camille Pascal sont savoureux. Or, en permettant aux visiteurs de voir à leur hauteur le lustre de Madame de Pompadour prêté par la bibliothèque Mazarine, à Paris, les penchants intimes du roi participent nécessairement de la grandeur des arts français. Si les tableaux ne règnent pas en majesté, mais ont plutôt vocation à documenter des personnages, les scènes de chasse, sport royal éminemment politique, font exception grâce à la réunion des neuf Chasses exotiques habituellement conservée au musée de Picardie, à Amiens, mais dont la présentation est ici éloquente. Il suffit de modifier sensiblement la hauteur de l’accrochage, la lumière, et, peut-être aussi, de créer un effet différent grâce au pavement du sol et à la reconstitution d’un espace qui rappelle la Petite Galerie du roi, à Versailles, pour que notre regard évolue. Au-delà des sujets cynégétiques (la chasse chinoise, les chasses de l’ours, du tigre, du lion, du léopard, de l’éléphant, du crocodile, de l’autruche ou du taureau sauvage), c’est également l’opportunité de comparer les mains et les palettes des six artistes les plus réputés choisis pour se plier à l’exercice entre 1736 et 1739 : Jean-Baptiste Pater, Nicolas Lancret, François Boucher, Jean-François de Troy, Carle van Loo et Charles Parrocel. Au-delà de la sphère personnelle, comme Laurent Salomé le considère, c’est « la curiosité qui caractérise le mieux la personnalité de Louis XV », dont le règne favorise la recherche et l’innovation. Il est un roi « qui se passionne pour la botanique, l’astronomie, la physique (l’électricité, la chimie, l’optique), les techniques artisanales». Les objets scientifiques sont splendides, en particulier les bouteilles de Leyde, rassemblées dans un meuble habituellement exposé au musée des Arts et métiers, et présentées avec à la machine électrostatique d’Edward Nairne. Aussi, les superbes globes mouvants terrestre et céleste, conçus pour le Pavillon d’optique, et le cabinet de physique du roi au château de La Muette, prêtés par la bibliothèque de l’Observatoire, à Paris, ainsi que la pendule astronomique de Louis XV, conservée au château de Versailles, sont-ils particulièrement spectaculaires.
LES ARTS DE SON TEMPS
Toujours en suivant le prisme de la curiosité, l’exposition organisée par les deux conservateurs chargés des arts décoratifs est une formidable occasion d’appréhender la magie des formes, la dextérité des ciseleurs et la préciosité des matériaux mariés par les ébénistes. Un summum de l’histoire du goût! Si aucun siège majeur n’est présenté ici, le château de Versailles fait bien mieux grâce à la Wallace Collection. Pendant 119 ans, il était en effet impossible de faire voyager les collections de Richard Wallace conservées à Hertford House, mais les autorités britanniques ont accepté il y a trois ans d’assouplir la politique de prêts, ce qui permet aujourd’hui de voir la commode de la chambre du roi livrée en 1739 au château de Versailles. Le gigantisme de l’objet prend ici tout son sens. Le château de Versailles possède tout de même la magnifique commode en placage de laque du Japon appartenant à la dauphine, réalisée par Bernard Van Risamburgh, qui, tant par sa forme galbée que ses bronzes ou ses couleurs, incarne la suprématie des recherches sous Louis XV. Et le musée du Louvre, à Paris, détient, depuis sa dation en 1990, la commode à décor de plaques de porcelaine de la comtesse du Barry conçue par Martin Carlin.
Exposées dans une vitrine, la fontaine à parfum de la collection Patiño (château de Versailles) et la paire d’aiguières (musée du Louvre) rappellent la fascination des Français pour les porcelaines Quing montées. La paire de girandoles à trois branches décorées de coqs découverte chez Bernard Steinitz il y a quelques années ou les vases céladon pisciformes issus de la collection Gulbenkian illustrent à merveille la notion de plaisir et de mariage des matières. Les créations en porcelaine de Meissen, si appréciées par Louis XV, sont également présentes. On retrouve, non sans joie, la paire de candélabres aux carlins, présentée au Domaine de Chantilly lors de l’exposition « La Fabrique de l’Extravagance. Porcelaines de Meissen et Chantilly» en 2020, qui répond aux incroyables chandeliers et à la pendule venus du Museu Nacional de Arte Antiga, à Lisbonne. Sans oublier, les porcelaines de Vincennes et de Sèvres. Ce répertoire de formes, de nuances et de couleurs a quelque chose de réjouissant. Louis XV, c’est justement le règne des formes ! Un mur au centre duquel trône le beau Jacques de Lajoüe appartenant à la collection Lagerfeld le montre bien. La France, sous son règne, est un pays suffisamment mûr et libre pour avoir le désir de traduire dans les objets du quotidien et des occasions exceptionnelles les aspirations des philosophes en inventant des courbes et des contre-courbes inédites.
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« Louis XV. Passions d’un roi », 18 octobre 2022-19 février 2023, château de Versailles, Place d’Armes, 78000 Versailles.