Une lettre ouverte datée du 16 décembre 2022, signée par 31 membres du personnel des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) – sur un total d’environ 210 salariés –, a largement été relayée par la presse belge. Ceux-ci y dénoncent « les conditions de travail et les dysfonctionnements dont sont victimes de nombreux employés […], car, depuis des années, le personnel travaille dans un climat de terreur et de mépris. Il doit mettre en œuvre des projets imposés par la direction générale, dans des délais intenables. » Ce courrier collectif a attiré les regards sur l’emblématique institution à un moment délicat pour son directeur, alors que son mandat (il en espère un quatrième, toujours d’une durée de six ans) devrait être renouvelé dans les prochaines semaines. Or, si son bilan n’obtient pas une note d’« excellence », la reconduction tacite dudit mandat en sera empêchée, avec pour conséquence la réouverture du poste. Il s’ensuivrait un appel à candidatures, appel ouvert à tous, y compris à Michel Draguet. C’est manifestement l’espoir non déclaré des protestataires…
DE NOMBREUX GRIEFS
L’on doit notamment à Michel Draguet, à la tête de l’institution depuis 2005, la fondation du Musée Magritte (en 2009), essentiellement sur la base des collections propres des MRBAB, augmentées de quelques prêts extérieurs. Son large succès de fréquentation n’a jamais été démenti. Quatre ans plus tard, s’ouvrait, toujours sur le même site, le musée Fin-de-Siècle, vaste évocation du carrefour international de la création que fut Bruxelles au tournant des XIXe et XXe siècles, tant dans le domaine des arts plastiques que de l’architecture, la ville étant à juste titre considérée comme l’une des capitales de l’Art nouveau. Le prix à payer fut cependant exorbitant, car ce « nouveau » musée impliqua la fermeture de la section d’art moderne et contemporain dont il occupe désormais les espaces. Cette décision unilatérale – en pleine période de crise ministérielle – suscita de nombreuses protestations, notamment de la part d’artistes, mais ne fut jamais remise en cause. Un épisode qui reste gravé dans les mémoires… et constitue en outre l’une des raisons indirectes (et insoupçonnables à l’époque) ayant incité, en 2018, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale à s’associer avec le Centre Pompidou (Paris) pour mettre sur pied le projet Kanal – Centre Pompidou. Le but étant, entre autres, de pouvoir proposer de façon permanente une collection d’art contemporain digne de ce nom à Bruxelles.
De plus, en matière de conditions de travail, les griefs à l’encontre de l’actuelle direction sont nombreux. Parmi ceux-ci reviennent régulièrement « l’abus de pouvoir, le harcèlement moral, la mise sous pression des équipes, l’absence de soutien au personnel, la dévalorisation et les intimidations, le manque de concertation et les jugements hâtifs, le mépris du travail et les erreurs d’appréciation, la violence verbale sous la forme de propos injurieux ou irrespectueux, l’absence d’évaluation critique et le mépris de la charte éthique ». Dans un autre domaine sont également mises en question la gestion autoritaire des collections, la programmation des expositions et la problématique des acquisitions. Enfin, la précarisation de certains postes, le déséquilibre entre agents statutaires et contractuels, le manque de transparence sur les procédures d’engagement ou de licenciement sont aussi pointés du doigt. Autant dire que Michel Draguet ne s’attendait pas à une déferlante d’une telle envergure, tout en étant conscient que la période de fin de mandat, conjuguée à l’espoir du renouvellement de celui-ci, constitue toujours un contexte délicat, voire compliqué à gérer.
UNE PROMPTE RÉACTION
Mis en cause, le directeur des MRBAB a aussitôt réagi dans un entretien publié dès le 17 décembre 2022 par le quotidien Le Soir, qui allume des contre-feux. Il paraît sincèrement étonné de l’ampleur de la crise et semble n’avoir rien vu venir, alors que dans le petit monde bruxellois du milieu de l’art, les langues allaient bon train quand on évoquait le management des Musées royaux des Beaux-Arts. Si, comme attendu, la proche échéance du renouvellement de son mandat est bien le facteur déclenchant de cette prise de parole, le projet de rénovation de l’institution, avec le redéploiement temporaire des collections qu’il implique, est sans doute la goutte qui a fait déborder le vase auprès des agents. Ceux-ci craignent, à juste titre, un surcroît de travail et diverses complications organisationnelles, alors que l’institution est en manque chronique de personnel. Manifestement, ni la direction générale ni l’autorité de tutelle n’ont pris la mesure de l’anxiété, voire du désarroi des équipes face aux conséquences de cette transformation prévue pour les années 2023-2025. Michel Draguet reconnaît « n’avoir pas mesuré à quel point ce chantier générait une inquiétude chez les travailleurs » et poursuit : « Je comprends qu’il y a des tensions et dans les circonstances que nous connaissons [la crise du Covid-19 engendrant une baisse de fréquentation, donc des revenus propres], c’est inévitable. Les travailleurs doivent faire beaucoup plus de choses qu’avant, cela génère du stress, et ce mal-être concerne toute la fonction publique. Je le comprends, et on l’a sans doute sous-estimé […], comme on a sans doute aussi sous-estimé le fait que l’opportunité de ces travaux [de rénovation] et la perspective de bénéficier en 2030 d’un musée renouvelé ont été sources d’inquiétude pour des gens qui se demandent s’ils auront encore leur place dans ce parcours-là. Je l’entends. » Quant aux préoccupations du collectif, le directeur des MRBAB botte d’abord en touche : « Je n’ai jamais été interpellé par des membres du personnel qui seraient venus me voir. La lettre ne contient aucun fait concret [depuis, des plaintes ont été déposées et sont en cours d’instruction]; nous allons avoir un dialogue avec les syndicats, en même temps qu’avec les conseillers [en prévention sociale]. » Puis il nuance son propos : « Si on me reproche des problèmes de comportement, j’en répondrai dans le cadre d’une procédure instruite par mon président de tutelle. » Et conclut : « À travers cette lettre, une multitude de conditions anxiogènes explosent. Il y a probablement là un déficit d’information de ma part : je pensais avoir informé tous les chefs de service et que tout le personnel était rassuré. Je découvre aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Ma priorité sera donc le travail avec les équipes pour les rassurer. » À la lecture de ce qui précède, l’on comprend que les différents interlocuteurs sont, à l’heure d’écrire ces lignes, plus proches d’un dialogue de sourds : ils n’ont pas du tout les mêmes préoccupations et encore moins les mêmes priorités. Les équipes des Musées demandent de meilleures conditions de travail et, surtout, le respect des personnes. La direction, quant à elle, se focalise sur l’avenir : la rénovation tant attendue des bâtiments et de nouvelles perspectives à l’horizon 2030. Cependant, pour une partie du personnel, l’actuel directeur ne constitue pas, ou plus, le candidat idéal pour mener cette réforme à bien. Alors, maintien ou non de Michel Draguet à son poste ?
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L’exposition « Picasso & Abstraction » s’achève le 12 février 2023. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, rue du Musée, 9, 1000 Bruxelles.