Yun Hyong-keun
On sait que Yun Hyong-keun (1928-2007) avait progressivement réduit sa palette à deux couleurs : brun et bleu, terre et ciel, ou plus précisément terre d’ombre et outre-mer. On sait aussi qu’en termes de motifs, il se limitait à peindre le plus souvent de larges bandes verticales en ménageant une grande place au vide sur la feuille ou la toile non préparée. Les œuvres réunies dans cette exposition, tableaux mais aussi peintures sur papier de riz, sont toutes de couleur terre d’ombre et ont été peints entre 1979 et 1984, période qui comprend un séjour d’environ deux ans à Paris. Fruits d’un long travail visant à imprégner la toile, à produire avec la térébenthine des dégradés sur les bords des bandes ou des masses comme pour nous faire saisir leur progressive dissolution dans le coton ou le lin, et à retrouver ainsi les effets de l’encre sur le papier, les œuvres de Yun Hyong-keun pourraient être qualifiées d’anti-peinture. Elles semblent guidées par le retrait, retrait du créateur lui-même derrière une manifestation de la couleur assimilable à un processus naturel (puissance sereine de ce vide entre deux masses horizontales), et retrait de la peinture en une teinture qui borde le vide. L’artiste disait vouloir peindre « ce quelque chose qui n’est rien ». Ce jeu d’absorption et d’ombres libère un espace propre à la méditation autant qu’à la contemplation.
Du 7 janvier au 23 février 2023, David Zwirner, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris.
Mariana Bunimov : « Paysages »
À considérer dans son ensemble l’exposition de Mariana Bunimov, on pourrait y voir le sommaire d’un magazine, avec des paysages un peu inquiétants quand le ciel se remplit d’avions ou que le coucher de soleil est en partie masqué par une forêt d’antennes. Mais aussi avec des sujets artistiques qui vont d’une petite histoire de la céramique à la rencontre d’une figure de l’antiquité mésoaméricaine et d’une sculpture de Boccioni. L’œuvre de circonstance (After Mahsa Amini) joue son rôle mais, à côté d’elle, un Vase de fleurs est une affirmation d’un bonheur de peindre, de jouer de la corde expressive et des effets de matière, sans crainte de surcharge. Lui fait face Table ronde, l’œuvre sans doute la plus ambitieuse, qui emporte au cœur du maelstrom un cercle d’intervenants et leurs feuilles de papier. Une représentation du pouvoir datée, une fantaisie qui emprunte à l’allégorie, avec au centre quelques taches, comme si la peinture, plutôt que d’assumer un rôle vengeur, trouvait en elle-même son sens, sa justification et notre consolation.
Du 28 janvier au 18 mars 2023, Michel Rein, 42 rue de Turenne, 75003 Paris.
In dialog with Lawrence Weiner
« In dialog with Lawrence Weiner », c’est d’abord une œuvre conçue pour la galerie, conçue il y a trente ans, et à nouveau présentée aujourd’hui. Cette œuvre, est-ce une pensée qui prend la forme d’une phrase nominale ? Une description ou la vision d’un arrangement avec la nature ? C’est en tout cas, comme toujours avec Weiner, une manière de laisser les mots s’assembler, porter du sens, sans trop de contraintes ni de volonté excessive de signifier. Comme souvent, on s’interroge sur les traductions voulues par l’artiste, sur le fait dans ce cas précis que les « stones » se changent en « petits galets » ou que les « piquets » soient « sur l’eau » tandis que les « poles » soient « in the water ». Ces écarts de langage, la suite de mots en français plus longue que la suite anglaise, font partie de la beauté de l’œuvre. Dialoguant avec elle, on entend des chansons composées par Ned Sublette sur des mots que lui avait confiés Lawrence Weiner : descriptions et expressions idiomatiques arrangées. L’autre partie du dialogue consiste en une exposition de collages de Theresa Patzschke dans l’espace annexe, et d’une performance unique de celle-ci sans traces visibles à ce jour.
Du 28 janvier au 25 février 2023, Galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, 75003 Paris.
Carla Adra, Cécile Noguès : À qui tu parles
Les œuvres qu’expose Carla Adra ont partie liée avec ses performances et celles-ci sont nourries par l’écriture. À l’occasion de cette exposition duo, elle montre notamment deux boucliers en résine transparente dans lesquels sont insérées des pages d’un journal intime et qui ont servi à protéger les performeuses contre des boules de papier (porteuses d’écrits), elles-mêmes exposées après avoir été défroissées. Au sol, quatre tournesols desséchés et retournés sur une base en béton dressent vers nous leurs racines, et nous renvoient à la vidéo d’une performance enregistrée à l’Espace Niemeyer, dans le 19e arrondissement de Paris (Sonde). Dans celle-ci, des femmes qui ont vécu racontent tour à tour leur histoire, en quelques lignes et au futur à la façon des voyantes. Ces jeux de perspectives temporelles sous une architecture encore futuriste captent naturellement notre attention.
Par un pied de micro en céramique, Cécile Noguès fait signe vers la parole, peut-être aussi vers sa complice d’une exposition, mais c’est par le seul pouvoir des formes qu’elle raconte son travail avec la céramique. Du vase au corpsdéploie sur un mur des volumes arrondis, couleur crème, mêlant la vision de la mousse polyuréthane et celle de la chair, abstractions grosses d’images du corps. Le vase posé au sol, qui les accompagne, est autant un repère du réel qu’une possible origine.
Du 28 janvier au 25 février 2023, Galerie Valeria Cetraro, 16 rue Caffarelli, 75003 Paris.