C’est une annonce qui tourne en boucle sur l’ensemble des réseaux sociaux. Elle est relayée par tous les acteurs du marché de l’art, maisons de ventes, galeristes ou marchands. À l’origine de cette levée de boucliers, un article du quotidien Les échos qui alerte sur les dangers d’une mesure prise le 5 avril 2022 par l’Union Européenne (UE). Cette mesure, signée à l’unanimité par les 27 membres de l’Union, dont la France, ferait passer le taux de TVA à l’importation des œuvres et objets d’art, dans l’Union, du taux réduit de 5,5 % à un taux général de 20 %. Ce changement entrerait en vigueur le 1er janvier 2025.
Pour de nombreux acteurs du marché de l’art, la France risquerait d’en pâtir rapidement. « Personne n’a été consulté, il n’y a eu aucune étude d’impact sur le marché de l’art », regrette le marchand Franck Prazan.
Pour ce dernier, l’application de cette mesure pénaliserait à la fois les artistes vivants eux-mêmes mais aussi les premier et second marchés. « Le régime de la TVA sur la marge ne pourra plus s’appliquer que si et seulement si les importations ou les achats aux artistes auront été taxés au taux normal de 20 % », analyse-t-il. En outre, « l’application du taux réduit de 5,5 % à l’importation des œuvres d’art exclut ces dernières du champ d’application de la TVA sur la marge, en rendant obligatoire leur revente au taux normal sur la totalité du prix, soit 20 % ».
Par ricochet, cette mesure aurait deux conséquences fondamentales : l’artiste qui vend à une galerie ne pourra plus facturer 5,5 % de TVA et devrait mécaniquement, pour rester compétitif, baisser son prix de vente ; et un professionnel qui achète une pièce importée devrait demander au vendeur de le facturer à un taux de 20 %. Pour combler ce manque à gagner, s’il ne veut pas augmenter ses prix, il devra lui aussi supporter cette hausse en rognant fortement sur son bénéfice. Sur un marché fragile et extrêmement volatil, la perspective donne, à tous, des sueurs froides…
Le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) a publié le 22 février 2023 un communiqué qui dénonce « une directive TVA, adoptée par les 27 pays de l’Union européenne en avril 2022 sans aucune concertation avec les professionnels ni étude d’impact, [qui] aura pour conséquence de porter une atteinte économique très grave – et sans doute irrémédiable – au marché de l’art en France. »
Gaëlle de Saint Pierre, en charge du dossier depuis octobre 2022 pour le CPGA, tire la sonnette d’alarme, mais laisse entrevoir des pistes de négociation : « La directive doit passer par une phase de transposition en droit français. L’État a jusqu’au 31 décembre 2024 pour valider la réforme. L’UE laisse chaque pays dresser une liste des objets pouvant bénéficier d’un taux de TVA réduit, les œuvres d’art en font partie. Le véritable enjeu, c’est la TVA à la marge ». En lien avec Bercy, elle évoque une « possible solution qui pourrait satisfaire les membres de l’Union et les professionnels : un taux général de 5,5 % pour toutes les transactions mais sur le prix total de l’œuvre et non plus sur la marge. Tout cela reste encore à négocier », précise-t-elle.
Le Comité Professionnel des galeries d’art, soutenu par la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), la Maison des Artistes ou le Syndicat national des maisons de ventes volontaires (SYMEV), compte sur le ministère de la Culture « pour obtenir de Bercy une exception pour les œuvres d’art, ou que la France négocie un moratoire au niveau européen. » Une façon de défendre comme ailleurs l’exception culturelle française sur un marché mondial qui a totalisé 61,5 milliards d’euros en 2021, en hausse de 29 % par rapport à l’année précédente, et où la part de la France, Brexit aidant, est passée de 2 % en 2001 à 7 % actuellement.