La saison des ventes de printemps de Londres a débuté le 28 février chez Christie’s avec une vente du soir solide et peu spectaculaire consacrée aux XXe et XXIe siècles. Elle a totalisé 106,1 millions de livres sterling (128 millions de livres sterling avec les frais, soit 145 millions d’euros) pour 64 lots, près de l’estimation basse allant de 100 millions de livres sterling à 148 millions de livres sterling (sans les frais). Elle a été immédiatement suivie par la vente « The Art of the Surreal », qui a rapporté 31,7 millions de livres (44 millions d’euros) pour 30 lots. La vacation a établi des records pour des figures plutôt secondaires du mouvement comme Wolfgang Paalen et Oscar Dominguez. Le total combiné des deux ventes s’élève à 137,8 millions de livres (167 millions de livres avec les frais, 189 millions d’euros), avec un taux de lots vendus de 89 %. Les œuvres garanties représentaient 28 % de la vente, et trois pièces ont été retirées : un bronze de Rodin, et des peintures de Rudolf Stingel et Edgar Degas.
Ces résultats représentent un volume en baisse de 46 % par rapport à la vente du soir équivalente de l’année dernière chez Christie’s à Londres, dont la partie consacrée aux XXe et XXIe siècles avait rapporté 155,8 millions de livres (182,6 millions avec les frais) avec six lots de moins. Cette baisse est en partie due à un manque d’œuvres majeures cette année. Alors que la vente de 2022 comptait deux lots dont l’estimation dépassait les 30 millions de livres sterling, et deux autres dont l’estimation dépassait les 10 millions de livres sterling, la vente de cette année ne comptait qu’un seul lot – Femme dans un rocking-chair (Jacqueline) (1956) de Pablo Picasso – dont l’estimation était à huit chiffres (15 à 20 millions de livres sterling).
« Nous n’étions pas intéressés par la chasse aux gros titres, mais plutôt par la mise en place d’une vente stratégique », explique Keith Gill, responsable de l’art impressionniste et moderne chez Christie’s. Le spécialiste reste persuadé que le Brexit et les autres soubresauts politiques au Royaume-Uni « n’ont pas d’impact réel sur nos ventes », et attribue aux acheteurs européens, moyen-orientaux et africains le mérite de maintenir un bon niveau de résultats. Il ajoute que la fréquentation internationale de la présentation des lots en amont de la vente est le signe que « la clientèle européenne est toujours prête à acheter à Londres ». Tessa Lord, responsable par intérim de la vente du soir d’art d’après-guerre et contemporain de Christie’s, affirme que l’augmentation du nombre de lots dans cette vente ne résultait pas d’une tentative de la remplir pour atteindre des résultats similaires à ceux de l’année dernière, mais plutôt une décision prise après le succès de la vente record Paul G. Allen à New York en novembre.
Comme c’est devenu courant, la vente de mardi mettait en avant les œuvres de neuf artistes ultracontemporains. En tête de liste, Michaela Yearwood-Dan, basée à Londres, faisait ses débuts chez Christie’s avec le tableau rose représentant des fleurs Love me nots, exécuté il y a moins de deux ans, en 2021. Cinq tableaux de Yearwood-Dan ont été vendus chez Phillips et Sotheby’s au cours des 18 derniers mois pour un montant compris entre 150 000 et 300 000 livres. Chez Christie’s, grâce à dix enchérisseurs au téléphone et dans la salle, son œuvre a atteint un nouveau prix record de 580 000 livres (730 000 livres avec les frais, 827 800 euros) contre une estimation haute remarquablement basse de 60 000 livres.
Des sommets similaires ont été atteints par l’artiste écossaise Caroline Walker, dont le nouveau record aux enchères a été établi par l’œuvre orange The Puppeteer (2013). Ce lot a suscité une lutte entre quatre enchérisseurs, avec deux acheteurs asiatiques au téléphone. Elle a finalement été adjugée pour 500 000 livres (680 000 livres avec les frais, 771 120 euros) à un enchérisseur en ligne avec le vice-président exécutif de Christie’s, Barrett White. L’artiste au style faussement naïf Robert Nava, soutenu par la galerie Pace, a eu moins de succès. Son tableau de 2018, Medusa’s Lightning, a eu du mal à dépasser son estimation basse de 100 000 livres et a été adjugé à 120 000 livres (151 200 livres avec les frais, 171 480 euros).
L’inclusion dans une vente du soir londonienne du peintre Liu Ye, basé à Pékin, constituait une nouveauté. Ce dernier est bien représenté dans les ventes de Hongkong, où il atteint régulièrement des résultats à sept chiffres. Néanmoins, la totalité de ses 50 meilleurs résultats de ventes aux enchères ont eu lieu jusqu’à présent en Asie de l’Est. Après une bataille de cinq minutes entre trois enchérisseurs par téléphone, l’un au Royaume-Uni et les deux autres en Asie, The Goddess (2018) a été vendue par l’intermédiaire d’Elaine Holt, spécialiste de Christie’s Hong Kong, pour 2,5 millions de livres sterling (3,1 millions de livres sterling avec les frais, 3,5 millions d’euros), soit plus du double de son estimation haute de 1,2 million de livres sterling, bien que ce prix ne détrône pas les dix meilleurs résultats de l’artiste aux enchères.
Dans la partie centrale de la vente, remplie de trésors du XIXe siècle, de géants du XXe siècle et de quelques noms contemporains bien établis, l’œuvre qui a suscité le plus d’attention est Tête de femme [Gordina de Groot] peinte en 1885 par Vincent van Gogh, représentant une ouvrière agricole néerlandaise qu’il aurait mise enceinte (Van Gogh a démenti avec véhémence toutes ces accusations). La toile était mise en vente par les descendants du banquier Henri Daniel Pierson, basé à La Haye (Pays-Bas), qui l’avait achetée à un marchand de Rotterdam au début du XXe siècle. L’œuvre était proposée à une estimation comprise entre 1 et 2 millions de livres sterling, ce qui montre la nette différence de prix entre la période hollandaise du peintre et à sa production française. Mais cette évaluation a semblé jouer en sa faveur, car dès le départ, le tableau a attiré une rafale d’enchères qui l’ont fait grimper rapidement jusqu’au double de son estimation haute, avant d’être adjugée 4 millions de livres sterling (4,8 millions avec les frais, 5,4 millions d’euros) en deux minutes au marchand londonien Daniel Katz – il s’agissait de l’une des deux enchères gagnantes faites en personne mardi dans la salle des ventes de Londres.
Parmi les autres points forts de cette partie de la vacation figure deux tableaux de Lucian Freud exécutés aux deux extrémités de sa longue carrière. Tous deux faisaient partie de la collection de feu le mécène britannique Simon Sainsbury. Le premier, un paysage de plage des îles Scilly, a été adjugé pour 3,8 millions de livres sterling (4,6 millions de livres sterling avec les frais, 5,4 millions d’euros). L’autre œuvre, une vue bucolique du jardin de Freud à Kensington, a été adjugée pour le même prix, contre une estimation haute de 3,5 millions de livres. Il a été emporté par le même enchérisseur au téléphone qui avait auparavant décroché un nouveau record aux enchères pour Caroline Walker. Ces deux œuvres de Freud seront désormais séparées pour la première fois depuis qu’elles avaient été achetées ensemble dans les années 1980.
Plus tard, cinq œuvres de Picasso – toutes soutenus par des garanties tierces – a été accueilli dans le calme, confirmant la stabilité du marché du maître de Malaga, dont on célèbre à travers le monde le cinquantenaire de sa disparation. La plus chère d’entre elles, le portrait déjà mentionné de sa seconde épouse Jacqueline Roque, a été adjugée à 14,5 millions de livres sterling, juste sous son estimation basse de 15 millions de livres sterling (avec les frais, le prix a atteint 16,8 millions de livres sterling, 19 millions d’euros). En revanche, un dessin de David Hockney inspiré par Picasso a suscité plus d’engouement, atteignant 3,6 millions de livres (4,3 millions avec les frais, 4,85 millions d’euros) contre une estimation haute de 2 millions.
Les résultats de la partie de la vente consacrée à l’art surréaliste ont été mitigés, le total de 31,7 millions de livres (38,9 millions de livres avec les frais, 44 millions d’euros) se situant dans l’estimation de 27,5 à 42 millions de livres. Deux lots seulement sont restés invendus, ce qui donne un taux de vente robuste de 94 %. Selon Olivier Camu, vice-président de Christie’s chargé de l’art impressionniste et moderne, une « reconnaissance accrue du surréalisme en tant que mouvement international » s’est traduite par « des enchères animées », notamment à certains moments de la vente.
Vingt-cinq œuvres ont été consignées par un couple anonyme de San Francisco qui a commencé à collectionner au début des années 1990, pendant la première vague des start-up d’Internet, précise Olivier Camu. Selon Artnet News, il s’agirait de Gary et Kathie Heidenreich, mais Christie’s n’a pas souhaité commenter cette affirmation. La collection du couple a rapporté à elle seule 13,1 millions de livres (frais compris).
En haut de l’affiche, mais sans enflammer pour autant la salle de ventes (peut-être parce qu’ils étaient protégés par des garanties de tiers), il faut noter Le retour de René Magritte (vers 1950), qui a atteint 5,1 millions de livres (6,1 millions de livres avec les frais, 6,9 millions d’euros, contre une estimation de 4 à 6 millions de livres), et Le masque de la foudre (1965-1966), du même artiste, qui est parti pour 3,7 millions de livres (4,5 millions de livres avec les frais, 5 millions d’euros, contre une estimation de 3 à 5 millions de livres). Le retour avait déjà été proposé chez Christie’s en 2004 avec une estimation de 400 000 à 600 000 livres.