Le créateur de mode britannique Paul Smith assure la direction artistique d’une exposition des œuvres les plus célèbres de Pablo Picasso au Musée national Picasso-Paris, à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de l’artiste espagnol. L’institution lui a donné carte blanche pour montrer sa vision de l’œuvre du maître et concevoir « Célébration Picasso : la collection prend des couleurs ! » « Dans ce monde très homogène et organisé, j’ai été autorisé à faire preuve d’une totale spontanéité, explique Paul Smith. La consigne était la suivante : vous êtes libre d’interpréter l’œuvre de Picasso comme vous l’entendez. »
Le styliste admet qu’il a été surpris de se voir proposer de participer à l’organisation de l’exposition, conçue avec les co-commissaires Cécile Debray, la nouvelle directrice du Musée Picasso-Paris, et l’historienne de l’art Joanne Snrech. « Je suis effrayé, humble et nerveux, nous a-t-il confié avant l’inauguration. Je m’intéresse à l’art, mais je ne suis pas un expert de Picasso. J’ai été honnête à ce sujet. Mais Cécile et Joanne ne semblaient pas s’en préoccuper. Je pense qu’elles voulaient que j’adopte une approche totalement nouvelle et que je touche à la culture populaire. C’est ce que j’ai essayé de faire. »
Le créateur de mode a d’abord ouvert une minuscule boutique de vêtements à Nottingham en 1970. Il y vendait des pièces qu’il avait créées lui-même, ainsi que les créations d’amis qui s’intéressaient à la mode. Il est désormais à la tête de l’une des marques les plus distinctives et les plus célèbres du monde de la mode masculine.
Paul Smith a toujours considéré Picasso comme une source d’inspiration. « Il était si radical, si moderne, qu’il s’est attiré les foudres de beaucoup de gens. Mais il a su rester ouvert à de nouvelles idées, à de nouveaux supports, à de nouveaux médiums. Sans vouloir nous comparer de quelque manière que ce soit, c’est quelque chose que j’ai essayé de faire aussi. »
Paul Smith a esquissé des dessins pour l’exposition, laissant entrevoir l’esprit de sa direction artistique. Le jazz y fait office de bande-son. Les murs sont tapissés de pages de vieux magazines de mode. Dans une des salles, des lignes verticales de couleurs contrastées parcourent du sol au plafond les murs du musée. Des œuvres de Picasso sont accrochées sur ce fond.
L’exposition s’ouvre sur quelques-uns des chefs-d’œuvre que Picasso a réalisés peu après son arrivée à Paris, à l’âge de 19 ans, en 1900. Picasso a vécu et travaillé dans le quartier de la butte Montmartre, partageant un atelier avec son ami d’enfance, le peintre catalan Carles Casagemas. Mais ce dernier s’est suicidé en 1901.
La mort de Casagemas a plongé Picasso dans une période de deuil profond, à l’origine de sa « période bleue ». Dans l’exposition conçue par Paul Smith figure l’Autoportrait (1901) de Pablo Picasso, une peinture que l’artiste alors âgé de 20 ans a réalisée de lui-même en bleu et violet et qui, selon Picasso, résumait sa dépression. L’année suivante, il peint des portraits de mendiants sans-abri, de prostituées et de buveurs isolés dans les bars sombres proches de son domicile. Les peintures de la période bleue sont présentées dans une salle que Paul Smith a imprégnée de teintes de la même couleur. « La mort de son ami l’a conduit dans cet état extraordinairement mélancolique, explique-t-il. Mais cela l’a poussé à sortir dans les rues proches de l’endroit où il vivait, pour peindre la pauvreté qui y régnait, comme personne ne l’avait vue auparavant. »
Paul Smith montre également des esquisses et des dessins préparatoires pour le chef-d’œuvre de Picasso Les Demoiselles d’Avignon (1907), qui a marqué l’évolution de l’artiste vers le cubisme. Le tableau, aujourd’hui conservé au Museum of Modern Art de New York, a été dévoilé, après des mois passés à le reprendre, dans son atelier du Bateau-Lavoir, niché dans les rues pavées derrière l’église du Sacré-Cœur.
Plus loin dans l’exposition, Paul Smith se penche sur la manière dont Picasso a représenté ses muses féminines. Il a inclus le portrait de Dora Maar, une jeune photographe française d’origine croate, née Henriette Theodora Markovitch, que Picasso a rencontrée au café des Deux Magots, à Saint-Germain-des-Prés. Dora Maar est aujourd’hui considérée comme l’une des principales femmes photographes de sa génération. Elle a bénéficié d’une rétrospective au Centre Pompidou à Paris en 2019 et à la Tate Modern de Londres en 2020. Mais elle a également été, pendant un certain temps, le principal modèle de Picasso et a documenté la création de son œuvre la plus politique, Guernica (1937), aujourd’hui exposée au musée Reina Sofía de Madrid.
Au-delà des chefs-d’œuvre, Paul Smith s’est intéressé à certaines œuvres mineures de Picasso, puisées dans la collection de 20 000 pièces du Musée Picasso-Paris. L’exposition présente ainsi des pages arrachées au numéro de Vogue de mai 1951. Picasso a transformé les mannequins du magazine de mode en figures grotesques en traçant quelques traits sur les photographies.
Paul Smith espère que l’exposition attirera un public peu familier de l’œuvre de l’artiste. « Picasso est pertinent pour toute personne créative travaillant actuellement, estime-t-il. Il trouvait tout intéressant et il a conservé cette approche enfantine dans son travail tout au long de sa vie. Il ne s’est pas encombré de connaissance, d’histoire et d’éducation, mais est resté ouvert à de nouvelles façons de penser. C’est une excellente façon de vivre ; c’est ce que j’ai essayé de faire moi-même. »
Le créateur de mode britannique espère que les visiteurs de l’exposition seront inspirés par la capacité permanente de l’espagnol à se réinventer. « Je trouve que beaucoup de gens dans les industries créatives sont un peu trop réfléchis aujourd’hui, regrette-t-il. Ils sont souvent un peu trop effrayés, un peu trop conscients d’eux-mêmes. Ils se disent : "Je dois ressembler à ça, je dois mener ma vie comme ça". Picasso n’était pas du tout encombré par tout cela. »
Pablo Picasso est mort le 8 avril 1973 dans son mas de Notre-Dame-de-Vie, à Mougins, dans le sud-est de la France. Tout au long de cette année 2023, et en partenariat avec le petit-fils du peintre, Bernard Picasso, le Musée national Picasso-Paris supervisera 50 expositions de l’œuvre de l’artiste dans des musées situés à Barcelone, Madrid, Málaga, Paris et dans d’autres villes d’Europe et d’Amérique du Nord.
« Célébration Picasso : la collection prend des couleurs ! » [direction artistique : Paul Smith], du 7 mars au 27 août 2023, Musée national Picasso-Paris, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris.