Adam Weinberg quittera son poste de directeur du Whitney Museum of American Art à la fin de son mandat actuel, le 31 octobre 2023. Pendant cette période de vingt ans, il a profondément transformé ce musée, l’un des plus importants des États-Unis. Il sera remplacé par Scott Rothkopf, l’actuel directeur adjoint et conservateur en chef.
Sous la direction d’Adam Weinberg, le Whitney a connu l’une des phases de transformation les plus radicales de son histoire, avec notamment la construction d’un bâtiment conçu par Renzo Piano dans le Meatpacking District à Manhattan, dans lequel il a emménagé en 2015. Il a ainsi quitté son bâtiment historique, conçu par Marcel Breuer, dans l’Upper East Side, à proximité du Solomon R. Guggenheim Museum. Ce déménagement pour un lieu beaucoup plus grand et adapté à l’accueil touristes, au pied de la promenade paysagée surélevée de la High Line, a permis au musée d’augmenter sa fréquentation de 400 000 visiteurs par an avant le déménagement à 1,2 million en 2019. Durant le mandat d’Adam Weinberg, le musée a également décuplé sa dotation (de 40 à 400 millions de dollars) et plus que doublé son personnel (de 200 à plus de 400 personnes).
Adam Weinberg, qui a pris la direction du Whitney en 2003 après avoir été conservateur de la collection permanente du musée et conservateur en chef, a également supervisé l’expansion de l’institution hors les murs. Parmi les projets qu’il a contribué à orchestrer, citons l’installation permanente dans l’espace public de Day’s End (2014-2021) de David Hammons sur l’Hudson River, juste en face du musée, et l’acquisition de l’ancien atelier de Roy Lichtenstein à quelques rues au sud, qui accueillera bientôt le très prisé programme d’études indépendantes du musée.
« Diriger le Whitney pendant toutes ces années fut la plus grande joie et le plus grand privilège de ma vie, en travaillant avec ses administrateurs profondément engagés et bienveillants, son personnel remarquable et motivé par sa mission, et la communauté inspirante et dévouée des artistes, afin que nous puissions servir les habitants de New York et le monde de l’art et des idées contemporaines », a déclaré Adam Weinberg dans un communiqué, ajoutant : « Même si je me retire maintenant pour saisir de nouvelles opportunités dans la communauté culturelle, comme tout le monde le sait, mon cœur sera toujours avec le Whitney ». Officiellement, Adam Weinberg deviendra directeur émérite du musée et administrateur honoraire.
Son mandat n’a pas toujours été de tout repos. Le processus de recherche d’un nouveau site pour le musée a connu de nombreux rebondissements, les projets de l’Upper East Side se heurtant à une opposition ferme (et à des poursuites judiciaires) de la part des riverains. Les activités au sein du musée ont également régulièrement déclenché des polémiques au cours de son mandat, notamment une série d’éditions controversées de l’exposition phare du musée, la Biennale du Whitney. L’édition 2017, la première dans le nouveau bâtiment, a été perturbée par une vive controverse concernant une peinture de Dana Schutz basée sur des photos historiques d’Emmett Till, un adolescent noir lynché en 1955 – les images largement publiées de son corps molesté ont contribué à l’essor du mouvement des droits civiques. L’édition suivante de la biennale est devenue la « biennale du gaz lacrymogène » après des mois de manifestations organisées par des activistes de Decolonize This Place et d’autres groupes demandant la démission du conseil d’administration du musée de Warren Kanders, propriétaire de la société Safariland qui fabrique des gaz lacrymogènes et d’autres équipements pour l’armée et les forces de l’ordre. Après que plusieurs artistes ayant participé à la biennale cette même année ont menacé de retirer leurs œuvres de l’exposition, Warren Kanders a finalement démissionné du conseil d’administration.
« Toutes ces controverses montrent que nous sommes engagés dans notre époque, que nous sommes pertinents, que nous faisons partie de la culture, que nous ne restons pas les bras croisés », a déclaré Adam Weinberg au New York Times, en évoquant les scandales qui ont émaillé son mandat.
En début de semaine, l’administration du musée et le syndicat qui représente environ 200 de ses employés ont conclu, après avoir négocié pendant 16 mois, le premier accord syndical – un processus au cours duquel les travailleurs syndiqués ont à plusieurs reprises organisé des piquets de grève dans les rues et distribué des tracts lors d’événements VIP.
Scott Rothkopf a connu une ascension rapide depuis qu’il a rejoint le Whitney en tant que conservateur en 2009, devenant directeur associé des programmes en 2012 et conservateur en chef en 2015, avant de prendre le titre de directeur adjoint principal en 2018. Au cours de cette période, il a organisé ou coorganisé bon nombre des expositions monographiques les plus médiatisées du musée, consacrées à des artistes contemporains, notamment la rétrospective Jasper Johns (2021-2022), les expositions de Laura Owens (2017) et Glenn Ligon (2011), ainsi que la rétrospective Jeff Koons en 2014, qui fut la dernière du Whitney dans le bâtiment de Marcel Breuer – depuis, celui-ci a été rénové et loué au Metropolitan Museum of Art, puis à la Frick Collection.
« L’habileté et la force dont Scott a fait preuve au fil du temps dans son implication dans tous les aspects des activités du musée, combinées à son expertise de conservateur largement admirée, font de lui le meilleur choix imaginable pour diriger le Whitney vers son avenir », ont déclaré Richard M. DeMartini, président du conseil d’administration du Whitney, Fern Kaye Tessler, présidente, et Robert Hurst, président du comité exécutif, dans un communiqué commun. « Nous avons une chance extraordinaire de pouvoir promouvoir le Whitney de l’intérieur », ont-ils ajouté.
« L’un des grands avantages d’une succession réalisée en interne comme celle-ci est que nous pouvons poursuivre le travail que nous avons accompli en matière d’équité et d’inclusion, en pensant à notre communauté et à la cité, a déclaré Scott Rothkopf au New York Times. Nous disposons d’une formidable équipe de conservateurs, dont la plupart ont été recrutés par mes soins, de sorte qu’il ne s’agit pas de quelqu’un qui arrive en disant : "Comment puis-je changer tout cela ? Comment puis-je me l’approprier ?" »
Le changement de génération à la tête du Whitney – Adam Weinberg a 69 ans, et Scott Rothkopf, 46 ans – intervient alors qu’un certain nombre de directeurs de musées new-yorkais d’âge avancé sont sur le point de quitter leur poste. Richard Armstrong, 74 ans, directeur de longue date de la Solomon R. Guggenheim Foundation, a annoncé à l’été 2022 qu’il allait prendre sa retraite. Selon le New York Times, le contrat du directeur du Museum of Modern Art (MoMA), Glenn Lowry, âgé de 68 ans, arrivera à son terme en 2025.
Malgré les appels lancés au secteur des musées pour qu’ils donnent la priorité à la diversité, non seulement au niveau des œuvres exposées dans les salles, mais aussi du recrutement et de la promotion des conservateurs qui décident de la programmation artistique, le secteur reste majoritairement blanc à ses niveaux les plus élevés aux États-Unis. Les personnes de couleur ne représentent que 20 % du personnel de direction et de conservation des musées d’art américains, selon l’enquête démographique la plus récente de la Fondation Mellon sur le personnel des musées d’art.