Cela fait un certain temps déjà que le dessin s’est libéré des frontières que lui imposait le papier. Drawing Now Art Fair l’a bien co-pris lorsque, en 2018, le Carreau du Temple accueillait Process, un secteur inédit mettant en lumière les nouvelles voies du dessin contemporain. L’exposition centrale de 2022, consacrée au « dessin performé », ainsi que les événements organisés en marge de chaque édition confirment l’ambition du Salon à élargir la définition du médium.
Cette année, le secteur Process accueille dix galeries dont les artistes transcendent le dessin au moyen d’un large éventail de langages : photographie (Binome, Antoine Dupin), vidéo et animation (Analix Forever, Dix9 Hélène Lacharmoise, Miyu), peinture, calligraphie et découpage (Hestia, Kitai), installation et sculpture (LMNO), mélange d’objets et matériaux (quand les fleurs nous sauvent) ou de solutions minérales (Drawing Room).
Du côté du secteur général, on notera le retour de Nicolas Daubanes, dont les créations à la limaille de fer lui avaient permis de décrocher le prix Drawing Now en 2021. Maurits van de Laar fait lui aussi revenir une de ses artistes favorites, Susanna Inglada, qui découpe et superpose ses dessins dans des installations souvent monumentales. La galerie Irène Laub met en avant l’artiste belge Stijn Cole, qui mêle la ligne dessinée à la sérigraphie, à la peinture et à la photographie, ainsi que les coutures sur papier et Sopalin de Tatiana Wolska, les jeux de découpes architecturales de Fernanda Fragateiro et Rui Calçada Bastos, et les trajets d’écrivains tracés par Lucile Bertrand. Autant de propositions qui, chacune à leur manière, brouillent les limites de la technique.
LIGNES EN MOUVEMENT
Ce décloisonnement fait toute la richesse du dessin contemporain et en devient même le principal attribut. Joana P. R. Neves, directrice artistique du Salon, souligne que le médium a toujours été une pratique ouverte
et poreuse, cela grâce au fait qu’il n’a jamais été rattaché aux Beaux-Arts. De cette marginalité, il tire encore sa force aujourd’hui : « Le dessin n’ayant jamais été un genre, c’est un vrai territoire de liberté », affirme-t-elle. Pascal Neveux, directeur du Frac Picardie et membre du comité de sélection du Salon, se réjouit que « la scène contemporaine du des-sin jouisse encore d’une inventivité et d’une dimension prospective fortes ainsi que d’une extrême vitalité ».
Plusieurs des spécialistes interrogés observent toutefois un récent basculement des tendances, marqué par un retour à des formes plus classiques, un phénomène confirmé par les six nominés au prix Drawing Now. Du point de vue du galeriste Florent Maubert, ce changement s’inscrit dans le regain d’intérêt général de l’art contemporain pour les pratiques traditionnelles, comme c’est notamment le cas dans le domaine de la photographie. Joana P. R. Neves estime quant à elle qu’il répond plutôt à la situation économique, source d’un marché plus conservateur et d’une certaine frilosité de la part des galeries à présenter des projets sortant du cadre.
Pascal Neveux dénonce le format proposé par les foires et les galeries, qui doit se renouveler : « La scène du dessin est bien plus riche que celle que l’on peut découvrir à travers une actualité de galerie ou de foire, dont le modèle a pour effet de standardiser et restreindre le marché. » Il estime que les collectionneurs sont friands des nouvelles pratiques et prêts à suivre cet enthousiasme pour l’expérimentation : « Il faut remettre en cause le format plutôt que la nature de ce qui est présenté, et c’est ce que fait Drawing Now en invitant des structures qui permettent d’interroger ce modèle. »
Aux yeux de Joana P. R. Neves, si le marché peut leur faire défaut, il revient aux galeries et institutions de mettre en avant ces démarches, essentielles à une conception élargie du dessin et, plus largement, de l’art contemporain dans son ensemble : « Ce n’est pas que le dessin est décloisonné, c’est plutôt qu’il permet de comprendre que le décloisonnement est le langage contemporain actuel. »