Le Salon du dessin est certes une « foire » dédiée à un seul médium et ce n’est pas un détail – il n’existe pas de Salon de la peinture ou de Salon de la sculpture –, mais il est aussi un véritable laboratoire de réflexion. Il constitue un espace et un moment uniques pour apprécier l’évolution du goût pour le dessin. Lors de la dernière édition, en juin 2022, déjà des signaux très forts montraient que les lignes avaient quelque peu bougé.
Cette année, nous sommes presque aux antipodes des manifestations d’il y a dix ou douze ans. Les accrochages se sont sensiblement allégés. Même des exposants « historiques » ont modifié leur présentation, et cela ne tient pas seulement à la manière de planter des clous sur des cimaises ! Sur le stand de Pandora Old Masters, Christian Lapeyre et Lester Carissimi ont placé au centre du pan de mur principal un Double autoportrait de la folie d’Antonio Mancini (1852-1930) datant de 1881, entouré d’un cadre très imposant. Le statut même de l’objet est différent et il n’est pas nécessairement destiné à des amateurs de dessins, à moins justement que ces derniers soient en train de changer leur propre façon de les exposer. Chez Terrades, la sélection est de très grande qualité et l’accrochage est ici aussi plus allégé. Le sentiment d’un changement subtil s’empare du visiteur averti comme si un vent léger de nouveauté caressait l’ADN de la galerie. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’en faire trop quand on présente une œuvre aussi subtile que l’étude de tête d’homme de Pierre-Paul Prud’hon, préparatoire à l’œuvre iconique de Constance Mayer, Le Rêve du bonheur.
Le Salon est aussi l’occasion de mesurer les forces en présence. Les très grands marchands étrangers tels Mark Brady (New York), Florian Härb (Londres) ou Jean-Luc Baroni (Londres) ont sorti le grand jeu et des noms à faire pâlir d’envie les impétrants. Mais ils exposent aussi, au fur et à mesure que les années passent, des œuvres beaucoup moins attendues. Dans le monde du dessin, « l’œil » du marchand est une combinaison entre ses connaissances et son goût. Chez Brady, Rome, le forum, le temple de Saturne d’Auguste Anastasi ou L’Homme en costume japonais de Giuseppe Signorini sont sans doute les plus belles feuilles réalisées par ces deux artistes méconnus, mais elles « tiennent » à côté des Degas et autres célébrités. Beaucoup jouent la carte de l’audace. Hervé Aaron (galerie Didier Aaron) n’aurait certainement jamais songé à mettre sur un piédestal Hélène Andersen, artiste de l’école danoise du premier quart du XXe siècle, si ce n’était pour cette Étude de masque en plâtre. Que dire aussi du Portrait du duc de Chaulnes représenté en Hercule par Nattier à la galerie de Bayser ? Nous sommes loin du Nattier policé…
Aussi, certains marchands méritent désormais une attention particulière : Enrico Frascione par exemple, dont le stand monte en puissance par sa qualité d’une année à l’autre – et il ne s’agit que de sa deuxième… participation ; le coup d’essai d’Alexis Pentcheff qui expose tout un mur de petits dessins de Vuillard ; ou encore du spectaculaire ensemble dédié aux paysages aixois à la gouache de Fabienne Verdier chez Waddington Custot. Quelques œuvres mériteraient à elles seules une visite, tels La jeune harpiste de Jacques-Émile Blanche chez Ary Jean ; PM1972-15 d’Hans Hartung à la galerie Berès ; l’époustouflante tête d’expression de Carle Vernet chez Didier Aaron ; l’étude pour Hercule et Omphale de Simon Vouet chez De Bayser ; L’oiseau argenté de Gustaf Tenggren chez Benjamin Peronnet ; ou le Marteau sur l’oreiller II, pastel, crayon et fusain sur papier de Ra’anan Levy à la Galerie Dina Vierny. Aussi, il faut prendre le temps de visiter le stand d'Onno van Seggelen car il résume à lui seul les perspectives du dessin nordique, domaine dans lequel il est encore possible de découvrir de véritables perles.
Salon du dessin, 22-27 mars 2023, Palais Brongniart, place de la Bourse, 75002 Paris