Comme beaucoup, Hervé Aaron (galerie Didier Aaron) a du mal à cacher son émotion : « Ger a été un extraordinaire directeur. Ce que nous aimions tous chez lui, et moi le premier, était son appétit à regarder un tableau, un dessin, sa volonté perpétuelle de découvrir. En plus de cela, il avait une sorte de modestie qui nous touchait. C’est un homme génial, qui faisait l’unanimité chez absolument tout le monde, qui nous a quittés. Tout le monde l’aimait et tout le monde était touché par cette générosité de lui-même. »
Il était nécessaire pendant la semaine du Salon du dessin de rendre hommage à Ger Luijten, décédé subitement le 19 décembre 2022 à l’âge de 66 ans, mais aussi de se retrouver pour évoquer de très beaux souvenirs. En sus de la tristesse d’avoir perdu un ami fidèle parmi les fidèles, le Salon du dessin pleure un partenaire précieux. Hervé Aaron tient à souligner combien la manifestation du Palais Brongniart lui doit. « Il y a vingt ou vingt-cinq ans, alors que nous n’étions qu’aux commencements, [la galeriste] Chantal Kiener devait recevoir un groupe de collectionneurs américains pour lequel il fallait organiser quelque chose, témoigne-t-il. Nous avons contacté Maria Van Berge-Gerbaud [directrice à l’époque de la Fondation Custodia] et immédiatement elle a proposé de leur ouvrir les cartons à dessins français du XIXe siècle de la Fondation Custodia. De fil en aiguille, par leur esprit d’ouverture, ces deux directeurs, amis du Salon du dessin, nous ont formidablement aidés. Ils ont toujours été prêts à le faire. Leur esprit d’ouverture a été un atout de poids pour nous. Ils ont été capables de comprendre que le milieu des marchands était aussi un monde d’amateurs et de connaisseurs. Ils ont partagé notre enthousiasme, notre passion. Ils ont ouvert les yeux de beaucoup. Il n’y a pas d’éloge suffisant pour ce qu’ils ont fait. »
Aussi, au Salon cette année, Ger Luijten est célébré sur un stand où les conservateurs de la Fondation Custodia ont été invités à présenter une douzaine de feuilles. Au mur, ils ont également choisi de placer le dernier poème qu’il leur avait récité – Ger Luijten adorait lire des poèmes et faire écouter des chansons à son équipe. La conservatrice Laurence Lhinarès explique le choix des feuilles sélectionnées : « Ce sont des œuvres acquises pendant le directorat de Ger Luijten au cours de la semaine du Salon du dessin, au Salon, au cours des ventes qui ont lieu pendant cette semaine-là ou chez des marchands qui exposent en marge du Salon, comme Nicolas Schwed bien sûr. La Vue de la maison de Buffon au Jardin des Plantes par Josephus Augustus Knip a par exemple été acquise auprès de Talabardon & Gautier lors du Salon de 2014 ; la Maison écroulée de Cornelis Saftleven auprès de la galerie de Bayser lors du Salon de 2017 ; la Feuille de malva par Albertus Jonas Brandt auprès d’Onno van Seggelen lors du dernier Salon… » La présence de la feuille de Léon Bonvin, la Femme à l’ouvrage dans l’auberge à Vaugirard, qui vient aussi de chez Talabardon & Gautier, était une évidence. L’histoire est connue, mais on ne résiste pas à l’entendre une nouvelle fois de la bouche de Laurence Lhinarès : « Bien avant d’arriver à Paris, Ger Luijten avait été ébloui par un dessin de Bonvin acquis par Maria Van Berge-Gerbaud pour la Fondation. À ce moment-là, il avait su qu’il consacrerait un jour une exposition à Bonvin… Ger était un précurseur ! Et nous avons fait l’exposition… » La Huppe fasciée d’Antoine Berjon, qui vient de la galerie Michel Descours, acquise en 2022, est l’un des derniers coups de cœur de Ger Luijten, dont ce passionné n’a cessé de vanter les mérites. « Déjà en 2015, rappelle Laurence Lhinarès, il avait été bouleversé d’avoir manqué la Nature morte aux raisins, châtaigne, courges et bloc de marbre chez Michel Descours aussi, une huile achetée par le musée de Toledo [Ohio, États-Unis] à Paris Tableau. Mais depuis lors, il était fort désireux de lui consacrer une rétrospective… Il n’en aura pas eu le temps. Mais, le Portrait d’homme de profil et La Huppe fasciée qu’il chérissait tant, étaient deux de ses grandes joies. » Les nôtres aussi.
Ger Luijten et ses « joies » sont entrées dans la grande histoire des musées.
Salon du dessin, 22-27 mars 2023, Palais Brongniart, place de la Bourse, 75002 Paris