L’un des peintres modernistes indiens les plus illustres, Sayed Haider Raza, fait l’objet de la plus importante rétrospective de son histoire au Centre Pompidou à Paris. « S.H. Raza (1922-2016) » (jusqu’au 15 mai 2023) est la première exposition personnelle majeure de l’artiste, ainsi que la première à être organisée par une institution publique. Le parcours réunit plus de 90 œuvres.
L'exposition parisienne couvre l’ensemble de la carrière de l’artiste, depuis ses débuts dans le Mumbai des années 1940, où il était l’un des membres fondateurs du très influent Progressive Artists Group, jusqu’à son installation en France en 1950. Il a vécu dans l’Hexagone par intermittence jusqu’à la fin de sa vie, notamment dans le village de Gorbio, dans les Alpes-Maritimes. Il y a développé un style qui mêle la peinture française et américaine de l’après-guerre aux traditions de la miniature du Rajasthan. Ses thèmes vont des paysages de campagne et des églises aux rassemblements de fidèles des temples indiens, en passant par l’architecture islamique et les paysages urbains occidentaux. Sa période la plus abstraite – et sans doute la plus connue – date de la fin des années 1960 et intègre des éléments du tantrisme tirés des écrits d’Asie du Sud.
« Raza me disait souvent : « J’ai appris de la France comment peindre, mais ce que je peins, je le tiens de l’Inde » », raconte Ashok Vajpeyi, administrateur exécutif de la Raza Foundation, créée par l’artiste en 2001. Il explique que l’artiste a été repéré par un galeriste parisien au milieu des années 1950 et qu’il a rapidement commencé à employer de la peinture à l’huile et un couteau à palette, imitant ainsi les techniques des maîtres postimpressionnistes européens tels que Cézanne. Mais il est resté, avant tout, un peintre de la nature intérieure et « un maître coloriste comme très peu l’ont été en Inde, du moins », déclare Ashok Vajpeyi. Il en résulte, ajoute-t-il, un « modernisme alternatif, non pas fait de ruptures et de tensions, mais de paix et d’harmonie, qui n’a rien à voir avec celui de ses pairs, tant en France qu’en Inde ».
La Raza Foundation, qui a apporté une aide logistique à cette exposition entièrement conçue par le Centre Pompidou, est à l'origine d’une série d'autres proposées en Inde et qui ont eu lieu en 2022, année du centenaire de la naissance de Raza, dans trois musées privés indiens : le Piramal Museum of Art et la Jehangir Nicholson Art Foundation, tous deux à Mumbai, et le Kiran Nadar Museum of Art (KNMA) à Delhi. Ces trois musées sont les principaux prêteurs de l’exposition parisienne, auxquels s’ajoutent plusieurs collectionneurs privés, dont les marchands Amrita Jhaveri, cofondatrice de Jhaveri Contemporary, et Roshini Vadehra, directrice de la Vadehra Art Gallery.
Le Centre Pompidou présente à côté des œuvres de Raza un fonds documentaire sur l'artiste issu de la Bibliothèque Kandinsky. Bien que l’institution conserve l’une des plus importantes collections d’art moderne français, le parcours ne propose pas de confrontation avec ses pairs et de ses héros. « Nous n'avons pas choisi de présenter Raza en relation avec ses contemporains français parce que nous ne voulions pas encourager une interprétation de son travail basée sur d'autres. L'exposition met en lumière les enjeux de l'art moderne indien après l'indépendance du pays, en se concentrant sur les dynamiques transculturelles dans la pratique de Raza », déclare Diane Tourbet, co-commissaire de l’exposition avec Catherine David.
Parmi les œuvres majeures de l’exposition figurent la peinture abstraite grise La Pluie (1964), qui est prêtée par les grands collectionneurs d’art indien Jane et Kito de Boer, et Saurashtra (1983), l’une des plus grandes toiles de l’artiste, titrée d’après une région méridionale de l’État du Gujurat, confiée par le KNMA. Elle est devenue l’œuvre la plus chère d’un artiste indien aux enchères, lorsque ce musée l’a acquise pour 2,4 millions de livres sterling chez Christie’s à Londres en 2010.
En effet, cette première grande exposition européenne de l’artiste apporte une reconnaissance institutionnelle à ce peintre dont le marché est en plein essor. Comme pour beaucoup de membres du Progressive Artists Group, les œuvres de Raza continuent de dominer les ventes aux enchères en Asie du Sud, tant au niveau national qu’international. Roshini Vadehra, directrice de la Vadehra Art Gallery à Delhi, souligne que ces artistes de Bombay font partie des rares dont les prix ont rapidement grimpé après la récession des années 2000 et sont restés élevés depuis. Mais la réception institutionnelle de ces peintres, tant en Inde qu’à l’étranger, n’a « jamais été tout à fait à la hauteur » de leur cote, ajoute-t-elle. Et de poursuivre : « Le marché indien et les musées n’entretiennent pas de relations aussi étroites qu’en Occident, car nous n’avons pas d’institutions comparables. Mais les œuvres de cette exposition sont d’une qualité exceptionnelle et cette rétrospective montre la place qu’occupe Raza dans le domaine de l’art ».
En écho à la manifestation, le musée Guimet, à Paris, présente « Cercle et territoire sacré. Le mandala dans l’œuvre de Raza » (jusqu’au 15 mai).
« S.H. Raza (1922-2016) », jusqu’au 15 mai 2023, Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
« Cercle et territoire sacré. Le mandala dans l’œuvre de Raza », jusqu’au 15 mai, Musée national des arts asiatiques – Guimet, 6 place d’Iéna, 75116 Paris