Depuis quelques jours, la Madone de Brando, du nom du village corse d’où elle provient, est sous les feux des projecteurs. Réalisée par les artistes italiens Simone da Firenze et Rocco di Bartolommeo probablement vers 1500, la peinture représente la Vierge avec l’Enfant sur ses genoux, lequel serre un chardonneret entre ses mains, évocation de la future Passion du Christ avec ses taches rouges. Quatre angelots musiciens entourent les personnages dans un décor architecturé. Une merveille prudemment estimée de 200 000 à 300 000 euros par la maison de ventes De Baecque & Associés, qui devait proposer ce panneau à Drouot le 31 mars.
Mais la veille, coup de théâtre de dernière minute : le ministère de la Culture réclame l’œuvre, arguant qu’elle appartient au domaine public. La maison de ventes l’a donc retirée de la vacation. Depuis, deux camps s’affrontent. D’un côté, la collectivité de Brando, soutenue par l’État. De l’autre, les descendants du collectionneur lyonnais Albin Chalandon (une autre branche que l’ancien ministre gaulliste éponyme) qui l’acheta en 1839 pour 600 francs or de l’époque auprès du curé du village corse.
Après la Révolution française, qui vit les biens de l’Église réquisitionnés et dispersés par l’État, Napoléon cherche en 1806 avec le Concordat à réconcilier l’Église catholique et la France. Elle récupère ses biens, sauf les lieux de culte, qui relèvent du domaine public. C’est précisément là le nœud de l’affaire. Forte d’une importante documentation disponible, la maison de ventes assure que le panneau provient du couvent Saint-François de Brando, désaffecté à la Révolution. Or, selon les décrets de 1806, les biens des églises et autres sites religieux peuvent être vendus au profit des églises paroissiales et des presbytères. « La fabrique [la nouvelle organisation catholique paroissiale, ndlr] stocke alors l’œuvre dans l’église mais elle n’est pas affectée au culte, donc pas accrochée au mur. Ce qu’on comprend à partir des documents, c’est que ce tableau n’appartient pas au domaine public. Les textes disent que la fabrique est propriétaire des biens du couvent et peut les vendre », confie le commissaire-priseur Étienne de Baecque. La vente est alors à l’époque avalisée entre autres par le maire de Brando et l’évêque d’Ajaccio. Toutefois, après cet épisode, les ventes futures seront interdites par l’État.
Aujourd’hui, la commune « présume de la domanialité publique. Ce n’est pas un bien soustrait à la propriété de l’État. Si jamais la vente de l’époque devait être annulée, il faudrait alors rembourser la famille de l’acheteur », estime Étienne de Baecque. S'ajoute trente ans de prescription...
L’affaire est entre les mains des avocats. « Nous nous tenons donc à la disposition de l’administration pour échanger sur une éventuelle solution amiable avant toute démarche contentieuse qui deviendra nécessaire si les considérations politiques prennent le pas sur les éléments matériels et juridiques », écrit la maison de ventes dans un communiqué envoyé le 6 avril 2023. Le commissaire-priseur espère parvenir à une solution entre les parties, « dossier très solide » à l’appui. Mais sans doute pas aux niveaux de prix qu’aurait pu obtenir l’œuvre aux enchères sur un marché international…