C’est sous un soleil estival que s’est ouverte le 13 avril 2023 la foire Expo Chicago, qui fête cette année son 10e anniversaire. Au Festival Hall du Navy Pier – offrant un panorama spectaculaire sur le lac Michigan et la skyline des gratte-ciel de la capitale de l’Illinois –, Tony Karman, directeur de la foire, rappelait les débuts de la section curatoriale, en partenariat avec Independent Curators International (ICI) : « l’idée du Curatorial Forum était d’inviter les professionnels à travailler à ce qui est devenu un aspect essentiel d’Expo Chicago : proposer la découverte de nouveaux artistes. Ensemble, nous organisons une Art Week riche de visites et de sessions conçues pour permettre aux commissaires de partager leurs meilleures pratiques, d’interagir avec les œuvres d’art présentées lors de l’exposition et de découvrir tout ce que les institutions, les artistes, les galeries et les collectionneurs de Chicago apportent à la communauté artistique internationale. » L’an passé, la foire a inauguré le Directors Summit, invitation faite à des directeurs d’institutions de débattre autour de questions actuelles. L’inclusivité des musées est au programme des thèmes discutés lors de cette édition 2023. Victoria Noorthoorn, directrice du Museo Moderno de Buenos Aires et commissaire de la Biennale de Lyon de 2011, témoignait ainsi de sa propre expérience à la tête d’une institution, convaincue « qu’un musée est un lieu d’échange, pouvant changer la vie des gens ».
Claudia Segura, conservatrice des expositions et de la collection du Museu d’Art Contemporani de Barcelona (MACBA), assure le commissariat du programme IN/SITU de la foire. Intitulé « Y el mar tomó la palabra » (« Et la mer parla »), ce dernier « exploite le potentiel poétique et politique de la fable pour imaginer des perceptions artistiques de l’avenir et du passé, mettant en scène des récits naturels et des histoires inconnues », explique-t-elle. Julien Creuzet (DOCUMENT, Chicago, Lisbonne), Jeanne Gaigher (Southern Guild, Le Cap), Paul Mignard (Galerie Poggi, Paris), Sun Ra (Corbett Vs. Dempsey, Chicago), Nep Sidhu (Patel Brown, Toronto, Montréal) ou Rosario Zorraquin (Isla Flotante, Buenos Aires) figurent parmi les artistes ayant créé de nouvelles pièces in situ pour cette édition.
Le programme IN/SITU Outside – des sculptures monumentales et installations d’art public présentées sur les rives du lac et dans les quartiers et parcs de Chicago, en partenariat avec le Chicago Park District (CPD) – inclut la Funtime Unicorne de Derrick Adams, installée au Polk Bros Park à Navy Pier ; la sculpture Reach de Hank Willis Thomas et Coby Kennedy à l’aéroport international O’Hare de Chicago ; l’œuvre de réalité augmentée Stone Speaks de Nancy Baker Cahill, visible via un code QR au bord de l’eau à Chicago Horizons ; The Garden (2022), une sculpture gonflable monumentale réalisée par The Floating Museum, l’équipe artistique de la Biennale d’architecture de Chicago 2023, installée devant l’entrée de la foire au Navy Pier ; ou encore douze photographies d’Aïda Muluneh, présentées sur des abribus JCDecaux. OVERRIDE | A Billboard Project propose, en parallèle, une sélection d’œuvres d’artistes internationaux sur le réseau de panneaux d’affichage numérique de la ville.
Aimé Iglesias Lukin, directrice et conservatrice en chef des arts visuels à l’Americas Society de New York, assure le commissariat de la section EXPOSURE, qui met en lumière les programmes émergents des galeries. Parmi celles-ci, les regards se portaient sur les étranges tableaux aux couleurs pastel signés Othiana Roffiel chez Galeria Karen Huber (Mexico) ou les compositions en relief de Cristina Camacho chez Instituto de Visión (Bogotá, New York).
La 10e édition d’Expo Chicago accueille cette année 170 galeries de 36 pays. La peinture y est omniprésente, souvent très colorée, abstraite ou figurative… allant du meilleur au pire. Almine Rech consacre son vaste stand aux toiles de Daniel Gibson ; moniquemeloche, dont la galerie est voisine de celle de Mariane Ibrahim en ville, montre une grande installation baroque d’Ebony G. Patterson, à l’honneur également dans la très recommandable exposition « Forecast Form : Art in the Caribbean Diaspora, 1990s-Today » au Museum of Contemporary Art (MCA) de Chicago.
Pour sa première participation, le parisien Jérôme Poggi se dit satisfait des contacts avec les collectionneurs. « Je voulais depuis longtemps participer à une foire autre que Miami et New York, nous a-t-il déclaré. Nous avons déjà des clients ici et développé d’excellentes relations institutionnelles. Chicago est frontalière avec le Canada, ce qui pour nous est intéressant. La ville est l’une des plus riches des États-Unis et abrite de grandes collections, mais sans ostentation. Il y existe en outre une dimension très humaine. Les collectionneurs peuvent acheter des pièces difficiles, protocolaires, des installations… » Son stand présente un dialogue entre Kapwani Kiwanga, qui représentera le Canada à la prochaine Biennale de Venise en 2024, et Babi Badalov. Plus loin, on croisait l’artiste sud-africaine Zanele Muholi sur le stand de Southern Guild (Le Cap).
Les collectionneurs étaient au rendez-vous lors du preview VIP. « En dix ans, la petite foire est devenue incontournable », confiait la galeriste Rhona Hoffman, figure tutélaire de « Windy City ». À l’écouter, « la scène de Chicago a toujours été très dynamique. Si vous regardez la liste des étudiants sortis de la School of the Art Institute of Chicago (SAIC), beaucoup comptent parmi les artistes les plus célèbres d’Amérique. Claes Oldenburg ou Sterling Ruby, par exemple. Si vous ne dirigez pas la lumière vers une chose, vous ne pouvez pas la voir. Chicago a pendant longtemps été moins sous les projecteurs que d’autres villes comme New York ou Los Angeles. Mais les musées ici sont extraordinaires. Il faut aller voir l’exposition "stanley brouwn" à l’Art Institute ! La foire a fait venir beaucoup de gens à Chicago, qui se sont dit :"C’est une superbe ville", très propre, avec une architecture remarquable, et où aujourd’hui, en raison de loyers plus faibles, les nouveaux restaurants sont plus intéressants qu’à New York. Les artistes restent ici pour travailler désormais, des galeries s’installent, Chicago est devenue une scène de premier plan. »
Quid des collectionneurs ? « Nous avons toujours eu des collectionneurs. L’Art Institute doit ses collections impressionnistes et surréalistes aux amateurs d’art de la ville qui sont allés en Europe et ont fait don ensuite de leurs collections au musée. Parmi les plus importants aujourd’hui, beaucoup sont de Chicago. C’est une ville centrale pour le business, où les gens fréquentent les musées et les galeries et constituent de grandes collections. »