Plus importante des villes wallonnes avec Liège, Charleroi reste un centre industriel considérable, mais loin de son fastueux passé. La crise a également touché son centre-ville avec l’exode des commerces vers des zones en périphérie. Ce mouvement s’est cependant inversé depuis quelques années et de gros investissements en infrastructures sont en cours. La culture en fait partie.
UN CONTEXTE FAVORABLE POUR UNE OFFRE EN DEVENIR.
Le déménagement du musée des Beaux-Arts municipal vers un nouveau lieu et la restauration des verrières de la vaste halle du BPS22, qui dépend de la province du Hainaut, jettent un coup de projecteur bienvenu sur l’offre en arts plastiques. Pendant longtemps, ceux-ci furent l’apanage du Palais des Beaux-Arts. L’histoire de l’emblématique bâtiment reste en effet marquée par les grandes expositions qu’y organisa Laurent Busine avant qu’il ne préside aux destinées du MAC’s (musée des Arts contemporains du GrandHornu), à Mons. À la recherche d’un second souffle, ce lieu interdisciplinaire vient d’accueillir sa nouvelle directrice générale et artistique, la dynamique Marie Noble, ancienne directrice de la Foire du livre de Bruxelles passée entre-temps par Bozar, à Bruxelles également. Le nouveau musée des BeauxArts jouxte les locaux de Charleroi danse, le centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en partie rénové par Jean Nouvel. Situé quelque peu à l’extérieur de la ville, le musée de la Photographie, considéré comme le plus grand d’Europe et dont la réputation n’est plus à faire, est reconnu autant pour la diversité de sa programmation que pour la qualité de ses collections. Par ailleurs, une bonne partie de celles-ci disposent de salles permanentes, constamment accessibles.
UNE NOUVELLE VIE POUR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS
À Charleroi, l’accès permanent à ces collections constitue un aspect important de la démocratie et de l’abord pour tous à la culture. Comme le souligne le maire Paul Magnette (Parti socialiste), ardent défenseur du projet, « il est fondamental qu’une ville de plus de 200 000 habitants comme Charleroi possède son propre musée, la culture étant un moyen pour elle de s’approprier son histoire et son identité afin de pouvoir se projeter dans l’avenir». C’est un des axes importants de la démarche du musée, tant dans la présentation de ses collections permanentes que de ses expositions temporaires, dont la première est consacrée au centenaire des éditions Dupuis, pionnières de la bande dessinée européenne et installées depuis toujours à Charleroi. Jean Dupuis est notamment l’éditeur du Journal de Spirou qui a accueilli des séries telles que Spirou et Fantasio, Gaston Lagaffe, Marsupilami, Lucky Luke, Les Schtroumpfs, Boule et Bill, Les Aventures de Buck Danny et, plus récemment, Largo Wynch, parmi bien d’autres. Le bâtiment s’étend sur un peu plus de 2 000 m2, dont 1 200 m2 dévolus aux expositions, soit 800 m2 pour la collection permanente qui compte environ 4 000 œuvres et 400 m2 pour les expositions temporaires. L’idée d’un musée a germé il y a plus d’un siècle, en 1911, à l’occasion de l’Exposition internationale de Charleroi. La ville et sa région étaient alors à l’apogée de leur prospérité économique et industrielle. La figure incontournable de Jules Destrée (1863-1936) – homme politique, écrivain, législateur, défenseur des droits sociaux et promoteur des arts accessibles à tous – est à la manœuvre. Il faudra attendre 1936 pour que la collection, entreprise dès la fin du XIXe siècle, dispose de ses propres locaux au sein du nouvel hôtel de ville, construit dans un style Art déco flamboyant. Au début des années 2000, les collections sont déplacées au Palais des Beaux-Arts tout proche, où elles sont stockées plus qu’exposées. Après trois années de fermeture, le redéploiement de ces œuvres dans un lieu faisant partie du patrimoine architectural de la ville constitue un réel événement. Le parcours est à la fois chronologie et thématique. Il débute avec François-Joseph Navez, figure de proue du néoclassicisme belge, s’offre une parenthèse orientaliste, avant de s’orienter vers le paysage, d’apparence champêtre d’abord, puis de plus en plus industriel pour coller à la réalité de l’époque. Les changements politiques et sociaux de la seconde moitié du XIXe siècle incitent les artistes (Constantin Meunier, Pierre Paulus ou Georges Minne) à exprimer à travers leurs œuvres les conséquences de la révolution industrielle sur le quotidien des habitants, en mettant la figure humaine en exergue. Il est ensuite question de «réalité inventée» avec l’apparition du surréalisme dans l’entre-deux-guerres, autour des personnalités de Paul Delvaux et surtout de René Magritte, qui passa une bonne partie de sa jeunesse à Charleroi. Il y est représenté par une œuvre majeure : l’étude pour La Fée ignorante, une fresque spectaculaire qui orne la salle de congrès du Palais des Beaux-Arts. L’abstraction des années 1950 est représentée par des œuvres de Jo Delahaut, et à l’art contemporain par une sculpture animée de Johan Muyle et l’une des toiles à l’atmosphère lourde et puissante de Michaël Matthys, originaire de la région. Enfin, une galerie de portraits couvrant plusieurs décennies court le long du couloir qui distribue les salles.
« STAYIN’ ALIVE. DISCOVER THE COLLECTIONS »
Une fois n’est pas coutume, les travaux de rénovation (mise en conformité énergétique des toitures vitrées) se sont terminés plus tôt que prévu et ont permis à l’institution de rouvrir avec quatre mois d’avance. Outre les espaces des expositions initialement annoncées (Jean-Pierre Ransonnet, Jean-Pierre Point et le Mail Art), le BPS22 a pu disposer de sa grande halle. L’occasion rêvée d’y déployer une partie de sa collection, en majorité des œuvres récemment acquises, rarement exposées (tels Claude Rutault ou Jacqueline de Jong) ou difficilement montrables en raison de leurs dimensions, comme les installations de Johan Muyle, Mounir Fatmi, Francis Feidler ou Filip Markiewicz. Une collection pour le moins éclectique, mêlants artistes d’horizons et de générations différentes, riche de plus de 7000 pièces, également constituée à la fin du xixe siècle, sous l’égide de la province du Hainaut. L’actuelle collection, ouverte sur le monde, suit quatre axes principaux : l’historique ancrage hennuyer, l’apport du surréalisme, les rapports entre l’art et la société (de Constantin Meunier à Cindy Sherman, en passant par les cultures urbaines et les rapports entretenus entre l’art et le pouvoir, depuis les paysages industriels du XIXe siècle) et les réflexions sur la fonction de l’art (d’Art & Language à Guerilla Girls et d’Éric Duyckaerts à Kendell Geers). On l’aura compris, les deux collections sont assez complémentaires, avec une épine dorsale plus historique au musée des Beaux-Arts et un contrepoint plus contemporain au BPS22. Le directeur Pierre-Olivier Rollin l’affirme : «Le musée reste le lieu essentiel de l’activation de l’art et de son partage avec le plus grand nombre.»
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Musée des Beaux-Arts, 67, boulevard Mayence, 6000 Charleroi.
BPS22, musée d’Art de la province du Hainaut, expositions ouvertes jusqu’au 23 avril 2023, 22, boulevard Solvay, 6000 Charleroi.