Istanbul Modern, inauguré en 2004 en tant que « premier musée d’art moderne et contemporain de Turquie », rouvre jeudi 4 mai après cinq ans de travaux. Le bâtiment de 10 500 m² a été conçu par l’architecte italien Renzo Piano. « La conception transparente et accessible du nouveau bâtiment reflète l’éthique du musée », a déclaré l’institution. Le nouvel espace, recouvert de panneaux d’aluminium en 3D « évoquant des écailles de poisson », comprend une bibliothèque, des espaces éducatifs et d’autres destinés à accueillir des événements, le tout réparti sur cinq étages.
Istanbul Modern a été inauguré il y a près de 20 ans dans un ancien entrepôt du quartier de Karaköy, surplombant le Bosphore. Après cinq ans de travaux – pendant lesquels la collection a été temporairement exposée dans un bâtiment voisin datant du XIXe siècle —, le nouveau site ouvre ses portes sur le site originel du musée.
Le nouveau bâtiment d’Istanbul Modern a été construit avec le soutien conjoint du groupe Eczacıbaşı, le sponsor présent à la création du musée, et du groupe Doğuş-Bilgili Holding, son principal mécène. La famille Eczacıbaşı, l’un des principaux philanthropes du pays, dirige un conglomérat comprenant des matériaux de construction, des produits de consommation et de santé, selon le site Internet de l’entreprise. Le coût du nouveau bâtiment n’a pas été révélé.
Pour sa réouverture, le musée accueille cinq expositions, dont une centrée sur l’art turc de 1945 à l’après 2000, avec des œuvres de Fahrelnissa Zeid, Sarkis, Ayşe Erkmen et Gülsün Karamustafa. Une nouvelle installation commandée à l’artiste Refik Anadol, intitulée Infinity Room : Bosphorus, sera également dévoilée (l’œuvre conçue pour ce lieu est alimentée par des données environnementales en temps réel recueillies dans la région d’Istanbul).
Une autre exposition, « Always Here », réunit 17 œuvres de 11 femmes artistes qui ont été acquises pour la collection grâce au Fonds pour les femmes artistes créé en 2016. Parmi les créatrices présentées figurent Mehtap Baydu, Hera Büyüktaşçıyan, İnci Eviner et Selma Gürbüz. La galerie de photographie du musée, présentée comme la première du genre en Turquie, présente sous le titre « In Another Place » 22 portraits pris par le cinéaste et réalisateur Nuri Bilge Ceylan.
De plus, une nouvelle œuvre en trois parties d’Olafur Eliasson, Your unexpected journey (2021), est accrochée dans un escalier central, tandis que des sculptures sont présentées en extérieur : The Most Beautiful of All Mothers (I) (2015) d’Adrian Villar Rojas, House Version (2005) de Richard Deacon et Runner (2017) de Tony Cragg.
L’année dernière, ce dernier a défendu sa décision de prêter sa sculpture à Istanbul Modern. L’artiste Mürüvvet Türkyilmaz avait en effet critiqué ce choix, déclarant au journal The Observer : « Si la liberté d’expression existe en Turquie, pourquoi tant de personnes sont-elles encore en prison pour s’être simplement exprimées sur les droits de l’Homme ? ». Tony Cragg avait répondu : « L’art est une force [œuvrant] pour le bien. J’expose mes œuvres pour tout le monde, pas pour un groupe spécifique, mais pour l’ensemble de la population turque ».
Au cours des 40 dernières années, de nombreuses institutions dédiées à l’art ont vu le jour à Istanbul. « Elles l’ont été sous l’œil attentif et la menace implicite du régime du [président] Recep Tayyip Erdoğan », a déclaré le curateur Osman Can Yerebakan.
L’ouverture d’Istanbul Modern arrive à point nommé, car le pays organise des élections présidentielles et parlementaires cruciales le 14 mai, qui pourraient déboucher sur la première défaite d’Erdogan en vingt ans. Les observateurs des droits de l’Homme soulignent que durant son mandat, les atteintes à la liberté d’expression se sont intensifiées. « Des enquêtes, des poursuites et des condamnations sans fondement de défenseurs des droits de l’Homme, de journalistes, d’hommes politiques de l’opposition et d’autres personnes ont persisté », indique un rapport publié en 2022 par Amnesty International.
En 2019, Fevzi Yazici, directeur artistique d’un journal turc, a été accusé d’appartenir à une organisation terroriste et condamné à 11 ans et 3 mois de prison. Selon l’organisation de défense suédoise Stockholm Center for Freedom, Yazici a été accusé par le gouvernement turc d’avoir contribué à l’organisation du coup d’État manqué contre Erdogan en juillet 2016. Il a ensuite été jugé pour terrorisme et a été condamné à une peine de prison à vie aggravée en février 2018, en même temps que cinq autres journalistes. Il aurait depuis été libéré.