L’exposition de Mrzyk & Moriceau occupe tout l’espace du rez-de-chaussée. Sur plus de 400 m2, les deux artistes ont choisi de développer un projet dont la cohérence vient d’un récit qu’ils livrent dès l’entrée. Lors d’une (supposée) résidence en Jamaïque, un taxi qui est aussi un chamane, leur a prédit de grandes choses, dont celle de se mettre à dessiner avec une scie sauteuse. Le récit continue à travers différents personnages, une vieille dame ou un loueur de ska, qui interviennent pour annoncer leurs visions étranges, que le travail des artistes va devoir illustrer ensuite. L’espace de l’exposition est en effet parsemé de cloisons s’apparentant à des paravents, disposés de façon aléatoire, et devenus support de dessins des artistes. On y retrouve leur univers à la fois naïf et ironique, teinté d’humour et de critique existentielle. Ici, sur un fond de paysage lugubre et obscur, d’immenses doigts faits de terre et sur lesquels poussent des champignons tiennent une forme ovoïde comme un miroir ; là un tressage de lignes fait penser à d’innombrables cheveux saturant le support. Ailleurs, des allumettes à taille humaine sont à demi consumées. Des enfants parcourant l’exposition semblent avoir bien compris l’enjeu du labyrinthe. Dans certains recoins figurent des céramiques. Cette technique adoptée par les deux artistes depuis deux ans environ leur permet de décliner en trois dimensions les éléments nés dans les dessins : des moules qui fument des cigarettes, des palmes Sebago, ou, au fond, un espace écran-télécommandes. Sur les murs, sont punaisés six cents dessins, évidemment impossibles à énumérer. Les artistes confient avoir souhaité produire une exposition généreuse, et même impossible à saisir dans son ensemble. Dans ces feuilles aux formats proches du A4 se retrouvent des thématiques qui se font écho : religion, sexe, animaux, mobilier impossible, mort. Faussement naïfs, ces dessins sont le cœur de leur travail. Ils véhiculent depuis trente ans des obsessions ludiques dont on se demande parfois comment les artistes parviennent à leur donner autant d’élan. Il est difficile de quitter cette salle qui donnait pourtant au départ le sentiment qu’elle prolongerait sans rupture d’autres expositions du duo. Coup de cœur assuré.
À l’étage, la proposition de John Armleder est d’une autre tonalité, plus intellectuelle. On y retrouve néanmoins une certaine vivacité ludique commune aux œuvres que nous venons de quitter. John Armleder, artiste suisse né en 1948, a adopté une démarche post duchampienne confinant à l’appropriationnisme. L’artiste cherche, quel que soit le support qu’il convoque – et il en utilise de nombreux – à évacuer toute subjectivité. Dans les commentaires accompagnant sa propre œuvre, il ne cesse de se considérer lui-même comme un élément d’un ensemble plus grand, fait de déterminismes sociaux et historiques, dont il ne ferait qu’involontairement exécuter le plan. En d’autres termes, l’artiste importe peu, et il s’agit d’abattre toute limite entre l’art et la vie, l’art et la société. L’exposition s’ouvre sur une nouvelle pièce, issue de sa série des Furniture Sculptures commencée en 1988. Inspirées des Musique d’ameublement (Furniture Music) (1917) d'Erik Satie, les Furniture sculptures mettent en scène les objets du quotidien les plus neutres possibles, ici une série d’assiettes blanches accrochées au mur. Le mur à demi peint en gris ferait référence à une exposition passée de son compatriote Olivier Mosset dans le même lieu. Plus loin, plusieurs peintures de très grandes dimensions s’imposent dans plusieurs salles. Ainsi, Yakety Yak créée en 2022 développe sur six mètres une composition abstraite qui pourrait rappeler l’action painting ou Pollock. Armleder là aussi cherche à évacuer toute subjectivité, laissant les techniques les plus mixtes comme l’huile ou l’acrylique interagir entre elles chimiquement, et produire des effets qu’il ne prévoit pas. Dans des vidéos de son atelier, on le voit laisser couler, jeter, projeter ou faire glisser des couleurs de toutes sortes, à la limite de la peinture aléatoire. Une autre salle présente des Furniture sculptures, série de mises en scènes de mobiliers d’auteur (Aalto, Eames, Häberli ou d’autres) traitées comme des sculptures et associées à des toiles de l’artiste. Enfin, à remarquer, la dernière salle hyperkitsch notamment avec son installation Universal disco balls (2006) elle-même associée à l’installation All night party, où se déploient force sapins en plastique fixés à l’horizontale au mur, devant lesquels tourne une longue succession de boules à facettes. Effet garanti !
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« Mrzyk & Moriceau. Meilleurs Vœux de la Jamaïque », « John Armleder. Yakety Yak », jusqu’au 24 septembre 2023, Musée régional d’art contemporain Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, 146 avenue de la plage, 34410 Sérignan