Le rapport intitulé Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art commandé par l’Élysée au président-directeur honoraire du Louvre, Jean-Luc Martinez, était à peine rendu public fin avril [2023] par un communiqué de presse enthousiaste du ministère de la Culture que, déjà, les médias en reprenaient doctement tous les éléments de langage.
« Critères de restituabilité », « commissions bilatérales ad hoc »,« patrimoine partagé », « européanisation de la politique de restitution », autant de termes technocratiques creux qui masquent mal une réalité pourtant évidente : les collections muséales publiques françaises inaliénables seront bientôt restituables…
On pourrait évidemment se réjouir de cette tentative de rationalisation censée mettre fin aujeu de massacre auquel s’est livré l’Élysée depuis le discours de Ouagadougou en 2017, instituant le fait du Prince en règle, imposant la parole politique avant la réflexion historique, scientifique ou philosophique et détricotant le principe d’inaliénabilité des collections publiques.
On pourrait également accueillir avec soulagement l’abandon de la doctrine du rapport Sarr-Savoy, qui envisage la colonisation comme une période infractionnelle entachant irrémédiablement toute collecte d’objets ethnographiques ou cultuels – devenus, sous le regard occidental, des œuvres d’art universelles – d’un vice rédhibitoire imposant à tous les musées de les restituer, quelle que soit leur provenance et même si le pays d’origine n’a rien demandé.
On pourrait enfin saluer le travail effectué et se dire que finalement notre « faible voix » a été entendue et que notre combat, que certains jugent d’« arrière-garde », n’a pas été totalement vain.
Pourtant, l’artifice ne tient pas au-delà de la page 58 du rapport Martinez, où on peut lire :
« Ces neuf critères seraient mentionnés dans la loi-cadre et auraient un caractère indicatif, la décision finale incombant au pouvoir politique… »
Ces fameux critères de « restituabilité », déjà fort larges et qui, selon le communiqué de presse du ministère de la Culture, devaient « préparer les contours d’une loi-cadre sur la restitution à leur pays d’origine de biens culturels appartenant aux collections publiques françaises » et « proposer une doctrine et une méthode pour examiner et traiter les demandes de restitution », ne seraient donc qu’indicatifs, laissant au pouvoir politique la décision finale.
Comment également ne pas s’inquiéter de lire, à la page 63 : « Pour autant si, pour des raisons éthiques ou diplomatiques, la France en venait à estimer souhaitable de restituer un bien issu d’un don ou d’un legs, ces arguments ne doivent pas être, selon nous, dirimants ».
En d’autres termes, quelles que soient leurs origines, les collections muséales, qui sont inaliénables, deviendraient restituables sur simple décision politique, pour autant que ce soit « souhaitable », « pour des raisons éthiques ou diplomatiques ».
La faute historique de Ouagadougou, qui a vu un président, s’exprimant à la première personne, décider seul de la nécessité de « restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique » au mépris du musée français et de son ambition universelle, se poursuit donc. Toute tentative de rationalisation se heurte à ce fait du Prince et à la nécessité de le légitimer.
La question de la place de l’art et des biens culturels dans notre XXIe siècle mondialisé méritait mieux que ce débat qui se résume à savoir à qui il faudrait rendre quoi. C’est une doctrine du partage et de la transmission du savoir qu’il fallait élaborer. S’appuyant sur l’extraordinaire réussite de musées comme celui du Quai Branly – Jacques Chirac, il fallait s’interroger sur la possibilité d’élargir l’expérience afin de permettre un accès toujours plus large à ces œuvres qui témoignent de notre humanité mais, pour cela, il fallait s’affranchir de la thématique des restitutions.
Au final, le principe d’inaliénabilité des collections publiques, déjà mis à mal par des lois d’exception, sera donc bien enterré avec la loi-cadre qui s’annonce et les collections publiques deviendront une réserve de cadeaux au service de la politique étrangère.
Yves-Bernard Debie
Avocat spécialisé en droit de l’art et des biens culturels