C’est presque une « locale » de l’étape qu’a choisi d’exposer le musée Fabre, à Montpellier : la sculptrice-céramiste Valentine Schlegel (1925-2021), née à Sète, puis passée par l’École des beaux-arts montpelliéraine. La présentation, qui occupe plusieurs salles de l’Hôtel Sabatier d’Espeyran, dépendance située à deux pas de l’institution principale, déroule la singulière histoire d’une artiste dont la famille, des ébénistes suisses, émigra en 1940 pour venir s’installer sur un canal de la « Venise du Languedoc ».
Aux Beaux-Arts, Valentine Schlegel suit des cours de dessin et de peinture, non d’art de la poterie. D’ailleurs, elle en usera à l’envi aussitôt ses études achevées, quand Jean Vilar, son beau-frère, lance à Avignon un fameux festival de théâtre, assistant le peintre Léon Gischia dans l’élaboration des oriflammes, costumes de scène et autres décors, lors des premières éditions. On peut en voir une sélection, au second étage, en guise de préambule à l’exposition.
Lorsqu’elle se lance dans la céramique, au milieu des années 1940, Valentine Schlegel opte d’abord pour les objets du quotidien. Au premier étage, une table oblongue permet de se faire une idée : bols, pichets, théières, écuelles, saladiers et même « gargoulette », cette cruche tenue par une corde épaisse, considérée comme l’ancêtre de la gourde. L’inspiration se veut évidemment méditerranéenne. En 1978, Schlegel écrit : « Je n’ai pas essayé de faire une œuvre. Il fallait vivre et survivre avec ce que j’avais – un corps solide. Une œuvre liée au corps, l’utilitaire. J’aime le quotidien exceptionnel. Je pars du geste. »
Un saladier illustre ainsi toute la subtilité de Valentine Schlegel. La silhouette n’est pas parfaitement circulaire, plutôt en forme de goutte d’eau, donc avec un angle. La raison ? Cette légère « pointe » permet d’y bloquer les couverts, lesquels, habituellement, ont toujours tendance à glisser au fond du saladier. La réussite est aussi fonctionnelle qu’esthétique. Idem, plus tard, avec les vases. Le visiteur pourra en admirer ici une belle sélection aux formes biomorphiques, silhouettes féminines souvent suggestives, tel ce spécimen baptisé Tulipe, bulbes ou racines. Vases ou vaisselle, argile émaillée ou grès, tournés ou montés au colombin, Valentine Schlegel en façonnera jusque dans les années 1980. Ne vivant pas de sa production artistique, l’artiste se résoudra, de 1958 à 1987, à donner des cours de modelage à des jeunes au Musée des arts décoratifs à Paris, comme le relate un film d’époque tourné dans l’atelier de l’institution parisienne.
Nombre de photographies en noir et blanc montrent Valentine Schlegel au travail, à Paris, en train de sculpter dans son atelier de la rue Bezout (14e arrondissement), en 1955, ou dans celui de la rue Vavin, en 1945. Elles sont signées Agnès Varda (1928-2019), son amie. L’artiste et la cinéaste se sont connues à l’adolescence, sous l’Occupation, le bateau des Belges (Varda), venus également trouver refuge à Sète, s’étant amarré juste devant la maison des Suisses. Agnès Varda documentera des années durant l’œuvre de Valentine Schlegel.
Sur un cliché datant de 1960, on distingue la fille d’Agnès Varda, Rosalie, sagement assise dans le foyer d’une cheminée immaculée. Là est l’autre pan essentiel du travail de Valentine Schlegel. À la fin des années 1950, la céramiste délaisse l’argile au profit du plâtre pour imaginer des cheminées intérieures à nulles autres pareilles. Cette voie nouvelle, elle l’ouvre un jour, complètement par hasard, alors qu’elle refuse que l’une de ses pièces qu’elle vient d’offrir à des amis n’atterrisse sur le manteau en marbre de leur cheminée classique : « Mon vase à fleur sur cette cheminée, c’était stupide. Qu’est-ce qu’il fallait faire ? Il fallait faire une cheminée ! Au fond, une cheminée est le même problème qu’un vase à fleurs. Un vase à fleurs est construit autour du vide. Une cheminée est construite autour d’un creux. Autour de ce creux, j’ai étiré les murs, pour en faire des étagères », explique-t-elle, en 1962, dans une émission de l’ORTF intitulée L’Art de vivre, L’objet, projetée à Montpellier en boucle.
Valentine Schlegel déclinera ce concept de cheminée faisant corps avec l’habitat pendant quatre décennies avec un succès fou – ses clients ont pour noms Jeanne Moreau ou Gérard Philipe, comédiens croisés jadis à Avignon… – et, à la clé, la production d’une centaine d’exemplaires tous uniques, dont beaucoup aujourd’hui disparus. Une quinzaine de maquettes réalisées à l’échelle 1/10e et une poignée de photographies évoquent l’aventure incroyable de ces « sculptures domestiques », modelages de plâtre immaculé qui bousculèrent allègrement les espaces bourgeois, mais symbolisaient surtout, selon Schlegel, « le gonflement des voiles des bateaux », une fascination datant de son adolescence sétoise.
« Valentine Schlegel », du 12 mai au 17 septembre 2023, Musée Fabre – Hôtel Sabatier d’Espeyran, 39 boulevard Bonne-Nouvelle, 34000 Montpellier.