Lorsque Lee Ufan a décidé d’ouvrir son espace dans le sud de la France, Lee Ufan Arles, à d’autres artistes, il a souhaité que la première exposition contraste avec son propre travail. L’artiste coréen a donc invité un ami de longue date, le commissaire Philippe Dagen, à organiser une exposition sur la peinture figurative contemporaine. Intitulée « Figures seules », cet accrochage collectif rassemble des œuvres de cinq artistes – Brigitte Aubignac, Ymane Chabi-Gara, Marc Desgrandchamps, Tim Eitel et Djamel Tatah – qui représentent toutes des figures solitaires.
« Je voulais quelque chose qui ne soit pas trop proche ou similaire à mon propre travail, a expliqué Lee Ufan à The Art Newspaper lors du vernissage de l’exposition, qui se tient jusqu’au 24 septembre 2023. Philippe Dagen est un ami de longue date. Comme il s’agit de la première exposition du Fonds de dotation, il était important pour moi de donner cette opportunité [curatoriale] à quelqu’un de vraiment digne de confiance. » Sur les cinq artistes sélectionnés, Lee Ufan ne connaissait que Tim Eitel et Djamel Tatah.
Philippe Dagen se souvient avoir rencontré Lee Ufan pour la première fois « il y a environ trente ans » par l’intermédiaire d’un commissaire d’exposition franco-coréen. Par la suite, il a rendu visite à Lee Ufan à plusieurs reprises dans ses ateliers au Japon et à Paris. « Je ne parle pas coréen et il ne parle pas français, mais nous arrivons à communiquer », explique-t-il.
Né en 1936 dans le sud de la Corée, Lee Ufan a grandi pendant l’annexion du pays par le Japon, et a connu la division du pays entre le Nord et le Sud après la Seconde Guerre mondiale. À l’âge de 20 ans, il s’est installé au Japon. Après avoir obtenu un diplôme de philosophie à l’université Nihon de Tokyo, Lee Ufan a cofondé le mouvement artistique Mono-ha (« L’École des choses »), qui rejetait les idées traditionnelles de représentation. Lee Ufan préfère privilégier la réflexion sur le monde, en dialogue avec les matériaux et en explorant leurs propriétés. Au cours des décennies qui ont suivi, l’artiste s’est fait connaître pour les qualités existentielles, profondes et poétiques de son œuvre, qui invoque l’ambivalence inhérente à la relation de l’homme à la nature.
L’artiste a inauguré Lee Ufan Arles en avril 2022 après avoir acquis un hôtel particulier, l’Hôtel Vernon, situé dans le centre historique, par l’intermédiaire de sa fondation. Il a demandé à l’architecte Tadao Ando, « d’apporter quelques retouches » à l’espace. « Nous n’allions pas le transformer radicalement », précise Lee Ufan. Les sculptures métaphysiques de l’artiste, composées de pierres et de plaques d’acier, qui jouent sur la lumière, l’ombre et le temps qui passe, sont présentées au rez-de-chaussée. Ses peintures aux coups de pinceau rythmés et répétitifs sont accrochées au premier étage. Des espaces pour des expositions temporaires sont aménagées au deuxième étage.
Lee Ufan Arles est le troisième espace d’exposition permanent de l’artiste. Le Lee Ufan Museum dispose d’un espace semi-enterré, également conçu par Tadao Ando, sur l’île de Naoshima, au Japon, et tandis que le Space Lee Ufan – une annexe du Busan Museum of Art – a été ouvert dans la deuxième ville de Corée du Sud, célèbre pour ses plages touristiques.
« Chaque lieu dispose de sa particularité régionale : Naoshima bénéficie de la mer et de collines, Busan est une grande ville où il se passe beaucoup de choses, et Arles est liée à l’histoire et à la temporalité, parce que c’est une ville marquée par l’antique civilisation romaine, explique Lee Ufan. En tant que personne originaire d’ailleurs, lorsque je viens à Arles, je peux sentir que le temps y palpite et y respire. L’ouverture de ce centre d’art vise à établir un lien avec le temps et sa qualité ancienne. »
Lee Ufan est tombé sous le charme d’Arles lors de sa première visite dans l’ancienne cité romaine en 2013. La démarche de Lee Ufan Arles fait écho à son approche philosophique de l’art. « Ma vocation est d’éviter de me concentrer sur moi-même et de donner une place à la méditation, à la connexion et à la contemplation, explique-t-il. Pour moi, l’art est une conversation et une connexion avec le monde extérieur. »
Ce désir de connexion a motivé Lee Ufan à convier Philippe Dagen à organiser une exposition. Toutefois, le commissaire admet avoir été initialement perplexe face à la suggestion de Lee Ufan de présenter de la peinture figurative. « J’ai répondu qu’une exposition sur la peinture figurative en 2023 n’avait pas de sens, explique Philippe Dagen. Puis, j’ai réfléchi et j’ai proposé une exposition sur l’isolement et la solitude dans laquelle il y aurait une figure dans chaque tableau ou pas de figure du tout. »
Sur l’escalier menant au deuxième étage figure la première œuvre de l’exposition : Cercle Ouvert/Open Circle (2017) de l’artiste allemand Tim Eitel. Dans la partie gauche du tableau, un homme aux cheveux blancs, la tête baissée, les mains dans les poches, est représenté de dos. Les plis de sa veste et de son pantalon dans les tons pâles, ses épaules inclinées et le mouvement lent de sa démarche sont soigneusement rendus. Ce tableau, qui montre subtilement que l’homme est perdu dans ses pensées, est l’une des nombreuses œuvres d’Eitel qui représentent un personnage éloigné de son environnement. Ailleurs est accroché un tableau de plus petite taille, Tür (2006), représentant une jeune femme en robe rouge, aux cheveux blonds, qui tient un dossier dans une main et ouvre une porte – hors du cadre – de l’autre.
Cette dernière peinture dialogue avec celles de petite taille de Brigitte Aubignac, telles que Portrait d’une folie annoncée (2016), une femme portant ses mains à ses tempes, regardant le ciel avec désespoir, et d’une figure endormie, également d’Eitel. Sur le mur adjacent est présenté un portrait de grand format Sans titre (1999) de Marc Desgrandchamps, représentant une femme vêtue d’une robe rouge à rayures horizontales jaunes.
Les peintures des deux autres artistes de l’exposition apparaissent le mur opposé. Hikikomor 6 (2020), un tableau très détaillé d’une femme noire assise à un bureau en désordre, réalisé par Ymane Chabi-Gara, offre une atmosphère faite d’indolence, d’apathie et de dépression. Il fait écho à ce que de nombreuses personnes ont ressenti pendant les confinements imposés par la pandémie de Covid-19. Né en 1986, Ymane Chabi-Gara est de loin le plus jeune artiste de l’exposition. Le portrait sans titre de Djamal Tatah, datant de 2022, d’une figure androgyne au visage incliné sur un fond blanc, capture une atmosphère similaire, mais avec une économie de moyens.
Reste que l’ensemble donne l’impression d’être parfois un peu trop surchargé. Plusieurs œuvres se détachent néanmoins. Les peintures les plus abouties de Marc Desgrandchamps révèlent comment son langage a évolué pour fusionner la figuration et l’abstraction dans des paysages marins captivants. L’œuvre Observatrice (2022) en est un parfait exemple, représentant une femme photographiant la mer avec sa palette vibrante de bleus, de turquoises, de blancs et de noirs. Djamal Tatah confirme quant à lui son importante contribution à la peinture française. Enfin, Ymane Chabi-Gara se révèle être une artiste passionnante qu’il faudra suivre.
« Figures seules », jusqu’au 24 septembre 2023, Espace MA de Lee Ufan Arles, 5 rue Vernon, 13200 Arles.