Intituler une exposition « Icônes », comme le font Emma Lavigne et Bruno Racine, respectivement directrice générale de la Pinault Collection et directeur et administrateur délégué du Palazzo Grassi et de la Punta della Dogana, avec leur accrochage à la Pointe de la Douane, est loin d’être anodin, surtout à Venise. Par la force des choses et surtout de l’histoire, la cité des Doges a longtemps regardé vers l’Orient. Du monde byzantin, elle a rapporté de précieuses icônes, notamment des Vierges à l’Enfant, parfois peintes sur fond d’or. La basilique Santa Maria della Salute, toute proche du second lieu de la Pinault Collection à Venise, conserve d’ailleurs dans son autel l’une de ces exceptionnelles icônes byzantines.
L’ICÔNE SOUS TOUTES SES FORMES
Nous ne sommes plus, tant s’en faut, au temps de l’iconoclasme et de la lutte contre le culte des images qui embrasa Byzance. Les « icônes » de la Collection Pinault s’apparentent au contraire à des trophées, des œuvres emblématiques d’un fonds qui n’en manque pas. Parmi ces pièces phares figure en bonne place le pape Jean-Paul II terrassé par une météorite, une installation de Maurizio Cattelan (La Nona Ora, 1999) – laquelle avait alors secoué la communauté ecclésiale. Le thème de l’icône, dans son sens historique, n’est pas absent de l’exposition. Est ainsi présenté un extrait du film Andreï Roublev (1966) d’Andreï Tarkovski consacré à ce peintre d’icônes dans la Russie du XVe siècle. De son côté, le Français Étienne Chambaud propose une interprétation contemporaine de ces images pieuses, notamment avec les séries Uncreature et Stase (2022), dont il transforme les compositions.
Le rapport au sacré et à certaines formes de son expression se révèle dans la section intitulée « Ascèse » réunissant, selon les commissaires, des artistes qui, « faisant fi des modes et du monde de l’art, se réfugient dans une quête de l’essentiel ». L’on y retrouve une œuvre de Josef Albers, mais aussi deux présentations exceptionnelles. La première est due à Michel Parmentier : 14 février 1990 (1990), sa plus grande œuvre, qui se déploie sur 16,125 mètres. La seconde est un ensemble de pièces de Roman Opalka, dont certaines reprennent le dispositif architectural conçu en son temps par l’artiste. Aux murs d’une salle spectrale sont accrochés ses tableaux de nombres, disparaissant inexorablement, nombres également énoncés par l’artiste dans une bande sonore diffusée dans la pièce, tout à la fois une mesure du temps qui passe et une quête de l’infini.
Ce riche parcours, commencé par un Concetto spaziale (1958) de Lucio Fontana et la monumentale Ttéia, C (2003-2017) de Lygia Pape, comprend parmi ses pépites une installation récente de l’artiste sud-africaine Dineo Seshee Bopape. Sa hutte sonorisée faite d’argile et d’herbe invite au recueillement.
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« Icônes », 2 avril-26 novembre 2023, Punta della Dogana, Dorsoduro 20, 30123 Venise, Italie.