Depuis les années 1970, Laura Lamiel construit une œuvre importante entre peinture, sculpture et installation. Elle travaille sur l’espace – mental ou physique –, l’absence, la perception, le temps, dans une perspective tour à tour poétique et critique. Les matériaux y ont une place essentielle : froideur industrielle de l’acier, du néon ou du miroir vs sensualité du tissu, du papier, du coton hydrophile ou du bâton d’encens. Des motifs se répètent d’une œuvre et d’une période à l’autre, le bureau, le livre, le pigment rouge, le module, l’organe, etc.
Laura Lamiel est rare, et sa propre discrétion y est probablement pour beaucoup. Retracer les grandes lignes de son parcours est peu aisé. Seules quelques indications sont disséminées dans les cartels, et aucun catalogue n’accompagne l’événement. En mêlant des œuvres antérieures à d’autres spécialement produites pour l’occasion, le commissaire Yoann Gourmel porte un regard stimulant sur son travail.
L’artiste réfléchit, depuis le milieu des années 1980, à l’architecture et à l’atelier comme matrice. La manière dont elle s’intéresse au lieu et à ses spécificités – colonnes de béton brut structurant un plateau nu – est une réussite. C’est le cas de ses installations cellulaires Vous les entendez ? (2015) (d’après une phrase de Nathalie Sarraute) et Les Yeux de W (2019-2022), modules impénétrables dans lesquels elle imagine des pièces de travail aux parois sans tain, où l’image du spectateur se reflète à l’infini.
DU MIEL SUR UN COUTEAU
Le parcours s’ouvre sur une œuvre d’une grande richesse visuelle et sensorielle (Du miel sur un couteau, 2022-2023). Du verre brisé (que l’on entend aussi) recouvre un vaste plateau miroitant, formant une étendue scintillante sur laquelle Laura Lamiel dispose des objets à la surface brillante et attirante – couteaux, lames, ciseaux, cartouches de gaz hilarant, etc. Une chaise en acier se trouve en équilibre. Le titre, emprunté à la définition de la sexualité par un moine tibétain, révèle la tension, principal ressort de son œuvre, entre séduction et danger, jouissance et douleur.
Avec Dans les plis (2023), Laura Lamiel met de nouveau en scène une tension, ici entre minimalisme (une bibliothèque métallique) et détails organiques (des tissus blancs). La vision du linge comprimé dans les caissons rappelle aussi les contraintes de la condition féminine. Dans La Mue, conçue après les attentats de Madrid en 2014, l’artiste réalise des manteaux de coton hydrophile qui suggèrent la légèreté et le soin, mais ceux-ci sont transpercés d’épingles. Citons encore la série de dessins de bouches et d’organes palpitants, exécutée à l’encre rouge pendant le confinement, la cellule épurée de la retraite de Saint Jérôme (2023) et enfin Multitude (2007), une vidéo tournée sur les rives du Gange.
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« Laura Lamiel. Vous les entendez ? », 16 juin-10 septembre 2023, Palais de Tokyo, 13,avenue du Président-Wilson, 75016 Paris.