On connaît assurément Yves-Bernard Debie pour son opposition ferme à la restitution d’œuvres aux pays africains et pour ses tribunes érudites et souvent virulentes qu’il signe dans la presse. Mais les marchands d’art tribal savent aussi combien l’avocat est un collectionneur passionné qui voue aux objets un amour indéfectible. Grand ami de l’homme d’affaires Pierre Moos, qui racheta le Salon Parcours des mondes à Rik Gadella en 2008, Yves-Bernard Debie reprend donc – après la disparition en novembre 2022 de l’emblématique directeur de l’événement – les rênes du Parcours; ce Salon à ciel ouvert présente à Paris, durant la deuxième semaine de septembre 2023, la fine fleur des arts d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des Amériques.
PASSAGE DE TÉMOIN
« C’est un passage de témoin tout en douceur », affirme ainsi le nouveau directeur général du Parcours, qui entend néanmoins distiller quelques menus changements, tel ce logo actualisé, très réussi, inspiré d’un photogramme de l’artiste britannique Adam Fuss, de même que cette possibilité offerte aux jeunes marchands de partager des espaces d’exposition afin de réduire les coûts de leur participation. « Cette année, j’ai une pensée particulière pour les galeries Laurent Granier, Bruce Floch, Guy Kuypers [Spectandum], Michel Van Den Dries et Pascal Vernimmen, qui ont accepté de jouer le jeu du showcase pour leurs premiers pas au Parcours des mondes », se réjouit Yves-Bernard Debie.
Autre bonne nouvelle, le Prix international du livre d’art tribal revoit le jour et porte à présent le nom de Pierre Moos. Preuve de l’entente entre les galeries et les maisons de ventes, il a comme partenaire, et ce pour la première fois, Christie’s Paris. Enfin, le Parcours des mondes s’engage étroitement au côté du marchand Philippe Boudin à soutenir la 2e édition du Mingei Bamboo Prize. Présidée cette année par Stéphane Martin – par ailleurs président d’honneur de Parcours des mondes –, cette récompense bisannuelle vise à distinguer un artiste s’illustrant dans l’art tout à la fois ancestral et avant-gardiste de la vannerie japonaise en bambou.
FONDAMENTAL ART AFRICAIN
Mais au-delà de ces heureuses initiatives, on retrouve les fondamentaux de ce Salon à nul autre pareil. L’Afrique se taille toujours la part du lion et demeure « l’ADN du Parcours », selon les mots mêmes d’Yves-Bernard Debie. Parmi les pièces au pedigree et aux qualités esthétiques irréprochables, on remarque chez Bernard de Grunne une effigie du peuple Tellem (Mali), issue de la collection Charles Ratton, dont la surface grumeleuse atteste de pratiques rituelles ancestrales. Abla et Alain Lecomte présentent, quant à eux, un florilège de masques ; entre autres un exemplaire Dan (Côte d’Ivoire) provenant d’une ancienne collection belge et datée d’entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. « Le haut du front est orné de petites cornes sculptées d’antilope naine et la face recouverte de patines sacrificielles. La bouche est remarquable par sa dimension et son expression », souligne avec enthousiasme Alain Lecomte. Enfin, comment ne pas être subjugué par la délicatesse et l’intériorité d’un charme Luba (République démocratique du Congo), dont les cornes d’antilopes et la charge rituelle accentuent davantage encore le mystère. Dotée d’un socle signé du sculpteur et ébéniste japonais Kichizô Inagaki, cette pièce d’exception est passée entre les mains du médecin Stephen Chauvet et de Maurice Ratton, avant d’« atterrir » chez son fils Philippe Ratton, le neveu de Charles Ratton…
Si les expositions thématiques font la part belle, elles aussi, à l’art africain tribal (dont celle – non destinées à la vente – orchestrée par Didier Claes autour de la collection privée Vandenkerckhove et cette autre dévoilant l’extraordinaire collection d’armes de l’antiquaire belge Jacques Billen), force est de constater combien l’art africain contemporain intéresse de plus en plus les marchands et les collectionneurs. Pionnière dans ce domaine, la galerie Vallois présente ainsi quatre artistes béninois de la nouvelle génération, notamment le peintre autodidacte Youss Atacora, dont on avait pu découvrir le travail onirique et inspiré dans son atelier de Cotonou. La galerie Claes Contemporary & Modern met en lumière l’œuvre de l’artiste congolais Vitshois Mwilambwe Bondo, lequel revisite avec brio les grandes figures de la mythologie et de l’histoire africaines et de sa diaspora. Preuve, s’il en était besoin, qu’en Afrique, le cordon ombilical avec la terre nourricière est rarement rompu…
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Parcours des mondes, 5-10 septembre 2023, divers lieux, quartiers des Beaux-Arts et de Saint- Germain-des-Prés, 75006 Paris.