Plus qu’un lieu, La Source du lion est une démarche imaginée en1995 par Hassan Darsi, lequel animait alors des ateliers à l’École des beaux-arts de Casablanca. Tirant son nom de la traduction française d’Aïn Sebaâ, quartier industriel à la périphérie de la ville, le projet ambitionnait d’interroger les rapports entre pratique artistique et espace public. « Hassan me parlait d’ateliers hors école avec ses étudiants, se souvient le commissaire d’exposition Abdellah Karroum. Son projet m’intriguait, et j’y ai trouvé un nouveau souffle pour cette époque, de l’espoir pour un renouveau de la scène artistique au Maroc. »
L’écrivain et dramaturge Driss Ksikes, préfacier du livre La Source du lion de 1 à Z : de l’art au Maroc 1995-2022, a rencontré Hassan Darsi au début des années 1990. Il décrit la structure comme une « passerelle » entre les individus et les espaces publics « qui leur permettent, comme sujets autonomes, de se mettre en lien et faire société ». La série des Portraits de famille, qu’entreprend Darsi dans des studios de photographie populaire puis en plein air dans les souks casablancais, témoigne de ce que Driss Ksikes définit comme « une conception horizontale du beau » où il ne s’agit pas de voir « à travers les yeux de l’artiste, mais à travers la sensibilité de tous ceux qui vivent ».
Fort de cette démarche citoyenne, pour laquelle il a reçu en 2022 le prix Prince Claus Impact, Hassan Darsi se lance, en compagnie de sa collaboratrice Florence Renault - Darsi, dans des projets de réhabilitation d’espaces publics à Casablanca donnant lieu à la conception de différentes maquettes, dont celles du bâtiment Legal Frères & Cie ou du parc de l’Hermitage (ancien parc colonial aménagé dans les années 1920 et laissé à l’abandon). Élaboré en 2002, Le Projet de la maquette de l’Hermitage est entré dans les collections du Centre Pompidou, à Paris, en 2012.
« Je réalise des maquettes de ces lieux rencontrés au hasard de mes mouvements dans la ville, non par nostalgie d’un endroit que je ne fréquentais pas ni pour archiver ses éléments, mais pour saisir l’extrême beauté de quelque chose que l’on condamne », nous confie l’artiste.
UN PROJET D’ŒUVRE TOTALE
Loin d’être anecdotique, le collectif reste le moteur principal d’une démarche tout autant citoyenne qu’artistique. Pour présenter le travail de Hassan Darsi, Florence Renault-Darsi parle d’un « projet comme art de vie et inversement ». Abdellah Karroum évoque un « projet-œuvre totale », à l’opposé de L’Appartement 22, à Rabat, qui repose sur « une initiative de direction artistique et critique ».
« La Source du lion est une initiative d’artiste qui agrège des personnalités aussi différentes que des plasticiens, des écrivains, des poètes, des chorégraphes, des danseurs ou des paysans agriculteurs; des citoyens en somme », enchérit Hassan Darsi. Éditrice du livre La Source du lion de 1 à Z et collaboratrice de longue date, Martine Derain met en avant la dimension fondatrice de son expérience marocaine. « J’ai beaucoup désappris pour me laisser traverser par d’autres façons d’aborder l’espace public, l’art, la politique, explique-t-elle. J’ai appris à travailler sans plan, ce qui ne signifie pas sans projet. C’est un surcroît de méthode qui permet au contraire d’improviser, de se laisser bousculer par l’imprévu. »
En partie délocalisée aujourd’hui à Benslimane, à quelques kilomètres de Casablanca, La Source du lion coopère avec les habitants pour bâtir des jardins agroécologiques et contrer l’exploitation de carrières qui dénatureraient l’environnement. S’y est tenu en juin 2023 un workshop sur le thème du décolonial mis en place par Driss Ksikes et qui donnera lieu à une publication. « J’ai envie que les gens comprennent que le décolonial, c’est avant tout prendre le temps de s’occuper de son jardin, de ce qui se trouve à côté de soi, de changer la conception du territoire », commente le dramaturge.
De son côté, Hassan Darsi prépare une exposition d’envergure au Comptoir des Mines Galerie, à Marrakech, à la fin de l’année 2023. Ponctuée de références à ses travaux phares, celle-ci prolongera un projet débuté en 2001, après les attentats du World Trade Center, et nommé New Babel, pour lequel l’artiste recouvrait des postes de télévision d’adhésif doré. Devenues l’une de ses techniques de prédilection, ces « applications dorure », comme il les appelle, se distinguent par leur minimalisme et leur portée conceptuelle. Ainsi, pour son installation Or d’Afrique en 2008, il s’est rendu à Tenerife, « sur la jetée où viennent s’échouer les corps de migrants, alors que se construit à côté un port de plaisance », et a tapissé d’adhésif doré des cubes de béton afin d’aveugler les touristes. Une action coup de poing qui n’a rien perdu de sa force.
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lasourcedulion.com
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La Source du lion de 1 à Z : de l’art au Maroc 1995-2022, Casablanca, La Source du lion, 2022, 288 pages, 37 euros.