Dans les anciennes écuries de la duchesse du Maine, le visiteur découvre tour à tour des ouvrages séculaires, mais également un éléphant en porcelaine, un lion en bronze, un hérisson (sans doute en bois)… Jolie entrée en matière pour se plonger dans une trentaine d’œuvres qui imposent patience et discernement. Le désir de jouer avec les codes d’un « long » XVIIe siècle présenté, non à travers le prisme du pouvoir séculier ou religieux, mais sous l’angle de ses enjeux intellectuels et métaphysiques, est tentant au sein d’un parcours dont les titres des sections semblent légers et accessibles.
DE L’IMPORTANCE DES HIÉROGLYPHES
Coauteur avec Virginie Bar du Dictionnaire iconologique (Éditions Faton, 1998), très à l’aise avec les sources littéraires, l’historien d’art Dominique Brême nourrit depuis longtemps une réflexion sur l’influence de l’Iconologia (1593) de Cesare Ripa sur la peinture française du XVIIe siècle. La démarche qui l’a conduit à concevoir l’exposition est plus vaste : notre pensée serait davantage stimulée par l’association d’une image avec un texte, une idée déjà défendue par Clément d’Alexandrie, Père de l’Église, et les premiers néoplatoniciens. Le hiéroglyphe égyptien serait ainsi la meilleure façon de réunir tous les mystères, puisqu’il est en prise avec le monde sensible (figuratif) et intelligible (écriture). Leon Battista Alberti considérait lui-même que les langues grecques et latines n’étaient que des bribes de mots !
Citant avec la même aisance les textes néoplatoniciens, Le Cours de linguistique générale (1916) de Ferdinand de Saussure ou les travaux de neuroscience de Jean-Pierre Changeux, Dominique Brême s’amuse volontiers de la surprise de son interlocuteur auquel il demande pourquoi tant d’obélisques égyptiens se trouvent devant les grandes basiliques romaines. « L’obélisque, dont la base est carrée (pour symboliser les quatre éléments faisant corps avec le socle de la Terre), explique-t-il, s’amenuise à mesure qu’il s’élève (réduction de la quantité de matière au bénéfice de l’esprit) et se termine par un pyramidion dont le sommet marque le point de jonction et de rupture (le doigt de Dieu et celui de l’homme tendus l’un vers l’autre, mais ne se touchant pas, selon Michel-Ange) entre le dernier fragment de matière et le commencement du pur esprit. »
Mais la filiation égyptienne avec le XVIIe siècle ne s’arrête pas là, puisque, à cette époque justement, il était courant de qualifier de « hiéroglyphes » les allégories ! Depuis leur édition à Venise en 1505, les Hieroglyphica, traité en deux livres décrivant 189 hiéroglyphes par l’Égyptien Horapollon (Ve siècle), étaient bien connus, et la portée de ce texte, en partie spéculatif, puisque l’auteur ne parvint jamais à déchiffrer tout le vocabulaire ancien, fut immense. L’exercice de style inspira nombre d’intellectuels, dont Cesare Ripa.
L’ASTRONOMIE DE LA HYRE
« Le Temps – puissance éminemment respectée par les sociétés de tradition – est figuré par Cesare Ripa par quatre combinaisons allégoriques ayant toutes logiquement pour base la représentation d’un vieillard, rappelle Dominique Brême. Les attributs qui l’accompagnent sont, selon les cas, une paire d’ailes, une couronne de plantes symbolisant les quatre saisons, un voile de couleur verte sur la tête, le cercle du Zodiaque, un serpent ouro-boros… » Puis de poursuivre : « À la charnière des XVIe et XVIIe siècles, ces propositions savantes entraient inutilement en concurrence avec la figure déjà bien identifiée de Chronos, le dieu grec du temps, parfois confondu avec Cronos, le roi des Titans, lui-même assimilé par les Romains à Saturne. Cronos et Saturne, qui ont dévoré leurs propres enfants pour ne pas être renversés par l’un d’eux, s’assimilent ainsi à Chronos, père des Heures. L’idée que le Temps passe à mesure qu’il dévore les Heures appelées à prendre sa place est en effet particulièrement pertinente du point de vue poétique. » Philosophique aussi. Instinctivement se pose la question du genre de la figure allégorique du Temps et de la perception que les peintres nous transmettent de cette approche très codifiée.
Au monde infiniment étriqué de la section intitulée « Le Temps se rit de tout », dominée par quatre vieillards fiers, sûrs d’eux et inquiétants, succède un univers infini. Laurent de La Hyre (1606-1656), « lecteur assidu de Cesare Ripa » comme le souligne Dominique Brême (la traduction des textes de Cesare Ripa en français a paru en 1636 et 1643), serait l’un des plus fervents adeptes d’une logique hiéroglyphique. Entre 1649 et 1650, il imagina un ensemble de sept toiles pour le décor d’un cabinet de l’hôtel Tallemant, dans le Marais, à Paris. Parmi elles, la célèbre allégorie de L’Astronomie, que Dominique Brême ne propose pas de repenser mais de voir autrement. Au sens propre, puisqu’elle a été récemment nettoyée par la restauratrice Cinzia Pasquali de l’atelier Arcanes, et au sens figuré, puisque tant son dessin, son sens de la composition que sa palette seraient modelés par l’attachement de Laurent de La Hyre à Cesare Ripa. La forme et la couleur – et notamment le manteau lapis-lazuli, symbole du firmament – deviennent alors des branches armées ou des prolongements de la pensée. L’astronomie, tentative positive d’embrasser un monde et qui devait encore tout à Ptolémée, est ici une figure féminine ailée à la gestuelle délicate, le visage levé vers le ciel, face auquel elle adopte une attitude prudente et respectueuse.
Les « hiéroglyphes », ou allégories du XVIIe siècle, genre le plus noble selon l’architecte et historiographe André Félibien, sont également employés – non sans humour, la dernière section de l’exposition le montre bien – à appuyer la flatterie des peintres à l’égard de leurs modèles. Apollon présentant le portrait de Colbert aux différents genres de peinture de Nicolas Loir (vers 1675, Southport, Atkinson Art Gallery, en dépôt au Domaine départemental de Sceaux) ou le Portrait d’un jeune prince portant une couronne de laurier et regardant par-dessus son épaule de Pierre Mignard (vers 1685-1695, collection particulière) sont certes bavards, mais ils sont « efficaces », puisque le spectateur, piqué de curiosité, est forcé de recomposer le discours soutenu par l’artiste et, en prenant ce temps, marque une certaine allégeance vis-à-vis du modèle de celui-ci.
L’une des richesses de l’exposition, qui nous propose « de jouer » avec les allégories du XVIIe siècle comme nous serions tentés de le faire avec les hiéroglyphes égyptiens, est cette invitation à découvrir, ou redécouvrir, les textes anciens, mais surtout un autre XVIIe siècle, plus grand que celui de Voltaire. Plus proche aussi de la Renaissance.
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« Allegoria, les clés de la symbolique baroque », 5 septembre 2023 - 14 janvier 2024, musée du Domaine départemental de Sceaux, 8, avenue Claude-Perrault, 92330 Sceaux.