Alvaro Barrington : « They Got Time : You Belong To The City »
« They Got Time : You Belong To The City » est un projet hors normes. Alvaro Barringnton a pu rêver d’une exposition où faire revivre son enfance à Brooklyn et la relier à une lecture très personnelle du Livre des passages de Walter Benjamin.
Dans cette exposition en trois chapitres, le point de départ est donné par Breakfast at Tiffany’s dans une version retouchée de la photo d’Audrey Hepburn en arrêt devant une célèbre vitrine. Derrière un rideau de chaînes (Chainging), des rideaux de fer de boutique tirés, comme des tableaux, dont un chromé. C’est comme un prélude minimaliste avant d’entrer dans une longue allée de boutiques ou de boxes avec reprise du motif du rideau de fer. Dans ces boxes, sont élevées des sortes d’autels à quelques-uns des héros ; dessins d’après photo d’Andy ou de Tupac, photos de Tina Turner, phrases en néon. Les cadres mêlent motifs floraux, matériaux précieux ou semi-précieux.
La dernière étape de ce voyage dans la mémoire nous fait passer de la rue au jardin. Les autels ont été édifiés à l’intérieur d’arcades en grillage d’acier couvertes de lierre grimpant. À l’intérieur, des portraits de joueur de baskets célèbres, ou d’Eddie Murphy, roi de pique, dans le style graffiti. Alvaro Barrington expérimente en appliquant du pastel sur du béton, en fabriquant des sortes de vitraux avec des caisses d’épicerie en plastique, de l’acier, du verre et du laiton. On voit des joueurs s’étreindre avec une ferveur quasi religieuse sous une composition fleurie.
Sans craindre de se conformer en apparence à une certaine image de l’artiste haïtien-américain, Alvaro Barrington nous montre aussi que son identité est plurielle et que le hip-hop n’est pas qu’affaire de citation et peut définir un style et un art de faire. Chose rare, il parvient à croiser la rue et le luxe sans tabler ni sur l’excès ni sur la dérision, sans s’épargner une réflexion sur gloire et succès.
Du 18 octobre 2023 au 27 janvier 2024, Thaddaeus Ropac Paris Pantin, 69 avenue du Général Leclerc, 93500 Pantin
TARWUK : Conceived for the Stage
TARWUK (Bruno Pogačnik Tremow et Ivana Vuksić) est un duo d’artistes d’origine croate établi aux États-Unis. Dans leur travail, et particulièrement dans cette exposition parisienne intitulée « Conceived for the stage », ils s’attachent à combiner grandes compositions picturales, sculptures et objets décoratifs afin de brouiller les distinctions entre exposition et scénographie. Cette idée de mise en scène et de mise en abyme de la mise en scène est donnée d’emblée par une figure en argile (porteuse d’un masque dans la même matière) assise sur une chaise dans des vêtements modernes et qui fait face à un portrait peint sur toile et posé sur un cadre de fauteuil en acier. C’est, si l’on veut, une sculpture et un tableau qui se donnent en représentation sur le mode d’une conversation.
Les grands tableaux présentent différentes scènes allant du spectacle de théâtre à la rencontre amoureuse en passant par le dîner de famille, en mêlant le style artiste, vif et esquissé, et parfois des compositions de type art construit. Les motifs en brocart se marient à des collages de restes de toiles. À côté des tableaux, on trouve sur des socles des chaussures éventrées laissant échapper des formations quasi organiques en différents matériaux. L’ensemble baigne dans un éclairage doux fourni par des globes inspirés du Bauhaus.
Ces préparatifs pour la scène écrivent une histoire éclatée entre restes d’utopies, réminiscences Mitteleuropa et théâtre de l’absurde. Le modèle de la scène s’offre comme le moyen de faire entrer cette histoire dans l’espace de l’art contemporain, sans se conformer aux canons.
Du 17 octobre au 2 décembre 2023, White Cube Paris, 10 avenue Matignon, 75008 Paris
Chen Ke : Bauhaus Gal - Theatre
Après Frida Kahlo, Marylin Monroe, Helen Torr (artiste inconnue), Chen Ke poursuit son travail de lecture et d’interprétation de quelques grandes figures ou mythes artistiques par le biais de la peinture, en s’emparant des femmes du Bauhaus. Son travail de docufiction s’enrichit cette fois de quelques éléments de scénographie : des étagères portant des exercices pédagogiques, une spirale en feuille de métal découpée qui tombe du plafond. Les tableaux ont leur source dans des photographies ultra-célèbres, comme celle de la femme au masque de Schlemmer dans un fauteuil Breuer, ou plus rares, qui ensemble façonnent un récit : celui d’une vie d’étudiantes découvrant la liberté en art à travers l’enseignement de la ligne et de la couleur.
Pas besoin d’enquête pour deviner que Chen Ke a reçu un enseignement plutôt académique teinté d’idéologie aux Beaux-Arts du Sichuan. À travers les figures de ces pionnières, elle se confronte à la question de l’utopie en art, sur un mode relativement froid et dans des tons assourdis. Un visage de jeune femme superposé à une façade du Bauhaus à la façon d’un photomontage soviétique procure un sentiment mêlé. Dans un autre tableau, un cercle chromatique inspiré de celui de Johannes Itten éclaire le bâtiment de Dessau à la façon d’un projecteur de DCA, présage à une fin tragique.
Du 14 octobre 2023 au 13 janvier 2024, Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris
Cinzia Ruggeri : La Legerezza del Peso
Styliste, designer, proche du Groupe Memphis, Cinzia Ruggeri (1942-2019) est de celles et ceux qui ont puissamment contribué à définir le style des années 1980. C’est par la vision d’un divan couvert de velours en forme de raie manta que s’ouvre l’exposition. Il porte le nom de Grande Puff Ferenczi, du nom d’un célèbre disciple de Freud. Le fait que l’ouvrage le plus célèbre de Sandor Ferenczi soit Thalassa n’est sans doute pas fortuit. À partir de ce divan, on pourra déambuler entre les délires poétiques et les pièges (tel sac à main en grillage a tout l’air d’en être un) issus de l’imagination de Cinzia Ruggeri. Avec elle, les objets d’usage affichent leurs caractères symboliques et ses intérieurs tiennent de l’univers baroque encore plus que du surréalisme auquel on l’associe naturellement. Chef-d’œuvre du genre, Armadio Rocco est secrétaire ou cabinet de rangement anthropomorphe en velours noir et bois doré, que surmonte la tête encagoulée d’un pénitent ou d’un conspirateur. Pour parfaire cette image exaltée du secret : un cœur transpercé d’un poignard sur le devant.
Avec La leggerezza del peso (conçu avec Hanif Jan Mohamed et Paolo Cremonesi) de 1989, on bascule dans un autre monde. L’argument de cette installation est que « le dernier éléphant vivant, incapable de se reproduire, explose et se transforme en de multiples objets domestiques », dont un gigantesque lit. Cette gifle aux amateurs de safari-design nous ramène à des considérations d’une brûlante actualité.
Du 16 octobre au 25 novembre 2023, Campoli Presti, 4 et 6 rue de Braque, 75003 Paris