En poussant la porte de la galerie Zidoun-Bossuyt au Luxembourg, on croit d’abord s’être trompé d’adresse et se retrouver dans un salon meublé de façon, certes quelque peu hétéroclite, mais chaleureuse, avec son tapis d’Orient, sa table basse, ses fauteuils bergère et sa méridienne, son papier peint. Le tout est dominé par un grand tableau peint dans les mêmes teintes que le mobilier, auquel il s’accorde ainsi parfaitement.
Nous sommes bien dans une galerie d’art contemporain, mais il ne s’agit pas pour autant d’une installation au sens attendu habituellement. Les toiles du jeune Américain Khalif Tahir Thompson sont une chose, le mobilier chiné – de leur initiative et comme clin d’œil à l’artiste – par les directeurs de la galerie en est une autre, à l’instar des différentes pièces du lieu, toutes embellies de la même manière.
Actuellement étudiant à la Yale University School of Art, où il poursuit sa maîtrise en peinture et en gravure, le jeune artiste – il a 28 ans et est né à Brooklyn – bénéficie ici de sa première exposition personnelle en Europe, à la galerie Zidoun-Bossuyt. Celle-ci est l’une des principales têtes de pont de la reconnaissance et de la diffusion des artistes afro-américains de ce côté-ci de l’Atlantique, comme le montrent régulièrement ses stands qui ne passent jamais inaperçus lors des foires auxquelles elle participe.
Il serait par trop réducteur de considérer le travail de Khalif Tahir Thompson comme celui d’un peintre d’intérieurs et de portraits ; il s’agit plutôt de parler d’un artiste qui scénographie ses tableaux comme des scènes de genre, alliant tradition et extrême modernité, dans des formats de grande dimension. Il y excelle dans la composition en multipliant les plans, sous la forme d’étagères murales, de fenêtres, de miroirs ou encore de répliques d’œuvres de ses artistes de référence. Il se défait de la perspective classique en la mettant faussement à plat. Le peintre américain est en effet un virtuose du collage des matières les plus diverses qu’il inclut non pas dans, mais sur sa peinture et donc décelables uniquement en s’approchant physiquement des toiles. Les encadrements de tableaux, le revêtement des chaises, des éléments de meubles, les tissus de recouvrement et bien d’autres accessoires sont en fait constitués de matériaux variés, qu’il s’agisse de cuir, de soie, de denim, de laine, de perles, de journaux et de magazines. Avec lui, outre le fond et la forme, ce sont le motif et la texture qui se confondent. En pratiquant de la sorte, Khalif Tahir Thompson tient à se démarquer de ce qu’il appelle « l’héritage pictural des courants de peintures traditionnels qui ont traversé l’histoire de l’art en Occident, qui révèle assurément l’absence de représentation de l’expérience vécue des communautés noires ». En se basant notamment sur des photographies d’archives ou de famille (la sienne), sans oublier ses amis proches, Thompson met en évidence un travail en profondeur qui multiplie les grilles de lectures esthétiques, historiques, sociologiques et postcoloniales, au profit de la revendication subtile d’une identité affirmée.
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« Khalif Tahir Thompson. Who Knows Where the Time Goes », jusqu’au 11 novembre 2023, Zidoun-Bossuyt Gallery, 6 rue Saint Ulrich, 2651 Luxembourg
Son travail sera exposé dans l’espace parisien de la galerie, 51 rue de Seine, 75006 Paris, partir de la fin mars 2024, au moment de la Foire Art Paris.