La photographe américaine Dorothea Lange (1895-1965) est considérée comme l'une des plus grandes photographes documentaires du XXe siècle. Une nouvelle exposition à la National Gallery of Art de Washington montre que son style révolutionnaire de reportage trouve son origine dans ses premières expériences de réalisation de portraits formels dans des studios de photographie commerciale au cours des années 1910 et 1920. « Dorothea Lange : Seeing People », organisée par Philip Brookman, rassemble 101 photographies de Lange couvrant un demi-siècle, depuis les premiers portraits en studio jusqu'aux images réalisées durant ses nombreux voyages dans les années 1950 et 1960.
« Elle a fait son apprentissage dans une série de studios de portraits, explique Philip Brookman. Le plus connu est probablement le studio d'Arnold Genthe à New York. C'est là qu'elle a appris non seulement à gérer un studio de portraits, mais aussi l'importance de la pose – les mains, le visage, la lumière – et la manière d'incarner quelqu'un à travers la pose et l'éclairage. Lorsqu'elle a commencé à voyager à travers le monde et à photographier des gens, elle a emporté tout cela avec elle. »
L'exposition s'appuie en grande partie sur un don de 143 tirages gélatino-argentiques fait en 2017 par les collectionneurs de Los Angeles Daniel Greenberg et Susan Steinhauser. Ces tirages sont complétés par des prêts importants d'institutions telles que le J. Paul Getty Museum de Los Angeles, le Oakland Museum of California et le San Francisco Museum of Modern Art. Un grand nombre des images les plus célèbres de Lange figure dans l’exposition, notamment sa photo de 1936 d'un propriétaire de plantation blanc et de cinq ouvriers agricoles noirs dans le Mississippi, et son portrait inoubliable d'une ouvrière agricole californienne encadrée par ses jeunes enfants, Migrant Mother (1936), que Lange a réalisé alors qu'elle travaillait pour la US government’s Resettlement Administration. Mais il y a aussi beaucoup d'images rarement montrées – dont certaines repoussent les limites du thème du portrait, comme cette photographie de 1942 d'une pancarte I am an American qu'un propriétaire de magasin américano-japonais a placée dans sa vitrine dans un contexte de xénophobie croissante après l'attaque japonaise sur Pearl Harbour.
« Je voulais vraiment réfléchir à la notion de portrait en rapport avec la formation de l'identité et j'ai vu ces mots, "Je suis américain", comme une déclaration d'identité que l'on pourrait considérer comme un portrait – voici qui je suis – même s'il ne s'agit pas de la photo d'une personne, explique Brookman. C'est une façon beaucoup plus contemporaine d'envisager le portrait. »
L'exposition donne un aperçu de la vie et de l'époque de Lange, de la pauvreté et de l'activisme dans la région de la baie, en Californie, au début des années 1930, à la situation critique des travailleurs agricoles pendant la Grande Dépression et à la détention forcée des personnes d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. « Les questions sur lesquelles elle s'est penchée – la migration et le changement climatique, l'utilisation des terres, le racisme – sont toujours d'actualité, explique Brookman. Elle a défini une forme de recherche documentaire qui consiste à vouloir comprendre non seulement qui est une personne et à quoi elle ressemble, mais aussi ce qui l'entoure et comment sa situation est devenue ce qu'elle est. »
« Dorothea Lange : Seeing People », National Gallery of Art, Washington, États-Unis, 5 novembre – 31 mars 2024.