L’exposition « Au bout de mes rêves » (d’après la chanson de Jean-Jacques Goldman), consacrée aux œuvres emblématiques rassemblées par Walter Vanhaerents et ses enfants Els et Joost, au Tripostal, à Lille, succède à celles d’autres grands collectionneurs : François Pinault en 2007, la Saatchi Gallery en 2010, Emmanuel Perrotin en 2013, la Fondation Cartier pour l’art contemporain en 2022, etc. Elle permet à la collection de l’entrepreneur immobilier belge Walter Vanhaerents d’accéder à une véritable reconnaissance publique, celle du milieu de l’art lui étant assurée depuis longtemps, puisqu’elle figurait déjà, en 2018, dans la liste dressée par ARTnews des 200 collections privées les plus importantes au monde.
Walter Vanhaerents a commencé sa collection de façon relativement discrète à la fin des années 1970. Il révèle au public l’ampleur de celle-ci en réhabilitant, en 2007, un entrepôt de plus de 3500 m2 à la structure en béton armé avec trois étages de coursives, dans l’ancien quartier industriel du centre de Bruxelles. Des expositions de longue durée y sont organisées sous la direction de commissaires invités ou sous celle du collectionneur lui-même. Ce fut le cas en 2007 avec la première d’entre elles, dont le titre, « Disorder in the House », s’inspire d’une chanson de Warren Zevon. Suivront « Sympathy for the Devil » (The Rolling Stones), sous le commissariat de Pierre-Olivier Rollin (directeur du BPS22 à Charleroi) en 2011, puis « Man in the Mirror » (Michael Jackson), sous celui d’Emma Dexter (ancienne conservatrice à la Tate Modern à Londres) en 2014.
Ces grands cycles d’une durée de trois ans sont complétés et ponctués d’importantes expositions monographiques dans la vaste salle supérieure du bâtiment, la Project Room. Y ont été montrés des ensembles conséquents, comme les structures géométriques en néon de Mark Handforth, les Colosses de David Altmejd, les enchevêtrements en réseaux de Tomás Saraceno ou encore le film The Feast of Trimalchio du collectif russe AES+F. Toutes ces œuvres figurent en bonne place dans l’exposition lilloise. Acquises au fil des ans, celles-ci témoignent de la fidélité du collectionneur aux artistes qu’il soutient. Pour Caroline David, commissaire associée de Lille3000, « rien n’est convenu dans cette collection. Elle reflète profondément la diversité et la vitalité des pratiques artistiques actuelles, tout comme la réalité contemporaine complexe. Celle-ci est faite de chaos, la construction le disputant à la décomposition, et de régénération, le passé se mêlant au futur ».
DU JAPON À L’AFRIQUE
Héritière d’une culture pop dépassant largement celle du monde occidental anglo-saxon, tout en en étant profondément imprégnée, la Vanhaerents Art Collection est pleinement ancrée dans le XXIe siècle et l’éclectisme qui le caractérise. Outre une forte inclination pour l’art contemporain japonais –auquel une salle lilloise est dévolue (Chiho Aoshima, Mariko Mori, Takashi Murakami et Yoshitomo Nara) –, elle est aussi l’une des premières de cette importance à acquérir des œuvres d’artistes issus de la scène africaine-américaine engagée comme Dominic Chambers, Titus Kaphar ou Kehinde Wiley. La nouvelle génération d’artistes africains combattant le colonialisme et le racisme est également présente au travers notamment d’œuvres d’Amoako Boafo, Kwesi Botchway, Joe Labinjo, Otis Kwame Kye Quaicoe et Emmanuel Taku.
Les artistes « historiques » ne sont pas en reste : Christian Boltanski, James Lee Byars, Gilbert & George, Antony Gormley, Jenny Holzer, Joseph Kosuth, Mario Merz, Bruce Nauman, Bill Viola, Andy Warhol ou encore Ai Weiwei sont représentés par des œuvres d’envergure qui ont contribué à la spécificité et à la notoriété de cette collection hors norme.
Depuis la fin de l’année 2018, les Vanhaerents ont reconfiguré la présentation de leur collection en intégrant le stockage de leurs œuvres – y compris les caisses d’emballage en bois – dans le bâtiment principal. Intitulé « Viewing Depot », cette scénographie est extrêmement dynamique et stimulante, tant pour les collectionneurs que pour les visiteurs. Elle permet de dépasser le modèle conventionnel de monstration d’un tel ensemble, de s’interroger sur le statut de l’œuvre d’art, sur sa mise en scène et sur sa logistique – une donnée essentielle au vu de la taille de certaines œuvres.
UNE COLLECTION D’UTILITÉ PUBLIQUE
Si l’exposition au Tripostal constitue la plus importante manifestation et le plus vaste aperçu jamais consacrés à la Vanhaerents Art Collection, elle en forme tout autant une étape majeure, celle d’une transmission familiale en cours, puisque les deux enfants de Walter Vanhaerents, Els et Joost, sont désormais étroitement associés aux futures acquisitions. S’ils reconnaissent que les œuvres de leur collection sont « visuellement attrayantes, souvent imposantes, révolutionnaires même », elles n’en demeurent pas moins intimes : « Lorsque nous achetons des œuvres d’art dans un moment d’émerveillement et d’engouement, nous le faisons avec nos yeux et notre cœur, pas avec nos oreilles. Le chemin d’un collectionneur est solitaire, il suit et acquiert les choses qu’il aime sans se soucier de l’opinion des autres. Collectionner pour la famille Vanhaerents est devenu comme une seconde nature. »
Mais la collection Vanhaerents est surtout l’unique endroit en Belgique où l’on peut découvrir l’art contemporain des XXe et XXIe siècles de façon permanente (certes un seul jour par mois). Elle est en cela d’utilité publique, car ces pratiques artistiques d’aujourd’hui sont absentes des institutions officielles, à l’exception de KANAL – Centre Pompidou, qui en est toutefois encore à une ébauche de collection. On notera que les deux lieux sont distants d’à peine 1500 mètres…
Parmi leurs projets, les Vanhaerents investiront l’église Santa Maria della Visitazione, à Venise, lors de la prochaine Biennale d’art contemporain en 2024, comme ils l’avaient investie dans le même cadre en 2019 avec la spectaculaire installation The Death of James Lee Byars, imaginée par l’artiste américain avant son décès.
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vanhaerentsartcollection.com
« Au bout de mes rêves. Vanhaerents Art Collection », 6 octobre 2023-14 janvier 2024, Le Tripostal, 22, avenue Willy-Brandt, 59000 Lille.