Tandis que le théoricien Roland Barthes proclamait, en 1967, la mort de l’auteur – dans un essai du même titre –, l’ouvrage collectif La Photo, une histoire de collaboration(s), version française de la publication dirigée par Ariella Aïsha Azoulay, Wendy Ewald, Susan Meiselas, Leigh Raiford et Laura Wexler, nous montre qu’une œuvre photographique cache une multitude d’auteurs sans lesquels elle ne pourrait exister. Qu’ils soient modèles ou sujets, techniciens, éditeurs ou archivistes, ces collaborateurs sont souvent restés dans l’ombre du photographe et de son aura de créateur. Cette publication leur rend justice en mettant en lumière la variété des rôles qu’ils ont pu jouer, depuis la naissance de la photographie jusqu’à nos jours.
ENVERGURE ENCYCLOPÉDIQUE
L’ouvrage envisage la collaboration comme « la condition même de la photographie » et entend proposer une « histoire possible » du médium visant à remettre en question « la violence de l’héritage américano-européen » de la photographie et des récits qui l’ont forgée.
Partant de problématiques assez classiques sur le statut du photographe comme auteur isolé et l’implication volontaire ou non du sujet, les différentes sections entraînent le lecteur vers une réflexion autour des communautés – du mouvement international ouvrier au groupe Femen – et des enjeux sociopolitiques de la photographie, laquelle contribue à raconter une histoire de la marginalité et du collectif.
Fruit de dix années de recherches menées par cinq actrices de la photographie, praticiennes ou théoriciennes, l’ouvrage a l’envergure d’une encyclopédie. Guidé par huit sections, il s’articule autour d’études de cas : plus de cent projets oscillant entre engagement collaboratif actif – à travers des collectifs ou des photographes individuels investis dans une démarche participative –, et fonctionnements « répressifs », à l’instar de l’utilisation secrète de la photographie par la police pour « ficher » les suffragettes. Mis bout à bout, ces exemples permettent de former une histoire de la photographie sous l’angle de ses collaborations.
Ce projet titanesque constitue lui-même une collaboration, puisque ses instigatrices ont donné la parole à des universitaires, des étudiants ou au public ainsi qu’aux acteurs en question de la photographie, parmi lesquels Almerisa, réfugiée bosniaque aux Pays-Bas et modèle de la photographe néerlandaise Rineke Dijkstra depuis 1994. Sur un sujet pouvant apparaître au départ comme une évidence, La Photo, une histoire de collaboration(s) se révèle être une exploration fascinante de l’his-toire de la photographie, dont l’angle inédit permet d’élargir et d’approfondir les réalités qui entourent une prise de vue.
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Ariella Aïsha Azoulay, Wendy Ewald, Susan Meiselas et al. (dir.), La Photo, une histoire de collaboration(s), Paris, delpire & co, 2023, 288 pages, 65 euros.