La perspective de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques à Paris du 26 juillet au 11 août 2024 va profondément modifier le panorama topographique, immobilier et culturel de la capitale. Si les locations Airbnb vont pulluler, les sans-abri devront laisser place à un Paris immaculé, les bouquinistes déménager, la Fashion Week Haute couture automne-hiver 2024–2025 se déplacer la dernière semaine de juin, le tout afin de ne pas perturber l’arrivée de la flamme olympique début juillet ni le bon déroulé de ces 19 jours de compétitions rassemblant 206 Comités nationaux olympiques, 28 disciplines (et 4 sports additionnels), 329 épreuves, 758 sessions, 10 500 athlètes et… deux fois plus de journalistes accrédités !
Aussi peut-on légitimement se demander de quoi la devise olympique proclamée par le baron Pierre de Coubertin, père tutélaire des Jeux modernes, lors d’un congrès à la Sorbonne en 1894, « Citius, Altius, Fortius », est-elle encore le nom ? La Réunion des musées métropolitains de Rouen tentera à Elbeuf (Seine-Maritime), durant l’été 2024, d’y répondre à sa façon sous l’intitulé « Sports. Plus vite, plus haut, plus fort ».
PROGRAMMATION « SPORTIVO-ARTISTIQUE »
L’art n’est donc pas en reste. Pour Pierre de Coubertin, les Jeux olympiques devaient « allier le muscle et l’esprit ». Cent trente ans plus tard, on parle d’« Olympiades culturelles » qui ajoutent « aux émotions sportives celles de la création artistique ». Si quatorze affiches signées par cinq artistes ou duos d’artistes ont déjà été présentées, le reste est encore auréolé de mystère. Espérons qu’il sera guidé par les excellents ouvrages de Jean-Marc Huitorel sur les liens entre art et sport dans la création contemporaine (La Beauté du geste, Éditions du Regard, 2005), qui reste indépassable sur le sujet, ainsi que par le travail continu du musée national du Sport, à Nice, ou du Musée olympique, à Lausanne.
Si le Palais Galliera – musée de la Mode de la Ville de Paris a donné le top départ de la programmation institutionnelle à travers une nouvelle présentation de ses collections (« La Mode en mouvement », jusqu’au 7 septembre 2025), c’est le musée des Arts décoratifs (MAD), à Paris, qui relève haut la main le label d’intérêt culturel de la première manifestation « sportivo-artistique » de l’année grâce à l’exposition « Mode et sport, d’un podium à l’autre ». Si le thème est judicieux et se révèle particulièrement jubilatoire, il fait néanmoins l’impasse sur les premières relations entre vêtements et pratiques sportives amateur ou professionnel emblématiques d’ascensions sociales comme la bicyclette ou la boxe au profit, donc, de la notion de « mode » et surtout de l’arrivée de marques « dédiées » dès le début du XXe siècle.
Aussi son introduction quelque peu grandiloquente évoque-t-elle en premier lieu l’olympisme viriliste athénien – le MuséoParc Alésia, à Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or), en fait, durant le printemps et l’été 2024, un sujet à part entière sous l’intitulé « Ô Sport, des jeux pour des dieux ». Le terme grec gymno, signifiant « nu », est ainsi à la base du français « gymnastique ». Le corps de l’athlète se doit dès lors d’être parfaitement « bodybuildé » afin de ressembler peu ou prou à celui d’un dieu grec, et réciproquement. Alors que celui de « sport » vient, lui, de l’ancien Français desport, signifiant « amusement », « divertissement », et passé par l’Anglais afin d’atteindre son usage courant actuel de « compétition ».
Mais qui dit « mode » dit, au départ, « féminité ». Parallèlement à l’exposition « Les Elles des Jeux » au musée national du Sport, à Nice, « Mode et sport, d’un podium à l’autre » au MAD fait de même la part belle aux pratiques sportives féminines apparues dès le XIXe siècle, en particulier en tennis, golf, équitation et voile, soit autant de disciplines développées dans la sphère d’influence britannique. Celles-ci ne feront pourtant leur arrivée sur les stades olympiques qu’à Paris en 1900 ! Les deux expositions retracent donc, chacune à leur façon, l’histoire de l’exclusion et de l’inclusion des femmes au sein des disciplines sportives, le poids de l’esthétisme et de la morale contre la performance, la sexualisation et la politisation des corps comme des vêtements.
SPORT ET MODE
L’autre fil rouge de l’exposition parisienne est celui d’y retrouver la première occurrence d’éléments vestimentaires tellement établis aujourd’hui qu’ils nous semblent « sans âge ». Il est donc particulièrement réjouissant d’y découvrir que l’un des premiers survêtements constitués d’un sweater zippé et d’un pantalon fait son apparition en 1932 sur l’athlète britannique Gwendoline Alice Porter lors des Jeux olympiques d’été de Los Angeles; que la première « chemise Lacoste » en 1934 n’est en fait que la copie « crocodilée » du maillot des joueurs de polo que Gabrielle Chanel (dite Coco Chanel) avait surnommé dans les années 1930 « Antibes-shirt ». On peut voir aussi le polo Fred Perry – également ancien joueur de tennis –, et son célèbre motif de couronne de laurier, créé dès la fin des années 1940; la casquette de baseball 59fifty apparue en 1954 pour l’équipe des Yankees par New Era; le débardeur – ou marcel – en 1964 pour les relayeurs de torche des Jeux olympiques d’été de Tokyo; le fluo – tout d’abord utilisé par l’armée – dans une robe de soirée imaginée par Pierre Cardin dès les années 1960; le skateboard, les chaussures de skate et les genouillères au milieu des années 1970, en Californie bien sûr…
De nos jours, toutes les marques de luxe ont leur ligne de sportwear et leur collection de sneakers monogrammées. L’espace de la galerie centrale du MAD en témoigne avec brio. Et les innovations les plus pointues en ce domaine sont déjà aux pieds des joueurs les plus influents. En jouant sur la double signification du mot, l’adage de René Lacoste est donc toujours aussi actuel : « Jouer et gagner ne suffit pas, encore faut-il maîtriser son style. » La Philharmonie de Paris reprogramme opportunément (jusqu’au 7 janvier 2024), le cultissime documentaire « Zidane, un portrait du XXIe siècle », cosigné par Douglas Gordon et Philippe Parreno, chef-d’œuvre stylistique du genre depuis sa création en 2005. D’autres manifestations suivront, dont nous nous ferons l’écho au fil des prochains numéros.
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« Mode et sport, d’un podium à l’autre », 20 septembre 2023-7 avril 2024, musée des Arts décoratifs (MAD), 107-111, rue de Rivoli, 75001 Paris.
« La Mode en mouvement », 16 juin 2023-7 septembre 2025, Palais Galliera – musée de la Mode de la Ville de Paris, 10, avenue Pierre-Ier de Serbie, 75016 Paris.
« Les Elles des Jeux », 8 novembre 2023-22 septembre 2024, musée national du Sport, stade Allianz-Riviera, 6, allée Camille-Muffat, 06200 Nice.
« Zidane, un portrait du XXIe siècle », 5 octobre 2023-7 janvier 2024, Cité de la musique – Philarmonie de Paris, 221, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris.