Avec un total de ventes de 59 millions d’euros et une croissance de 15 % en 2023, Ader fait partie des maisons les plus dynamiques exerçant à Drouot. L’an dernier, il y a vendu un total de 44 millions d’euros avec les frais, sur 378 millions d’euros engrangé par Drouot en salles. Soit environ 12 % ! Mais pour garder le rythme (125 vacations l’an passé en incluant la branche Entreprises et Patrimoine), elle a choisi de se doter d’un nouvel outil : une salle des ventes indépendante. Située au 17 rue de la Grange-Batelière, dans le 9e arrondissement de Paris, elle sera ainsi toute proche de l’Hôtel Drouot. « À partir du 18 janvier 2024, les mardis et mercredis seront réservés aux expositions des ventes qui auront lieu tous les jeudis. Retransmises en live à la fois sur Drouot Digital et sur Interenchères, elles privilégieront d’abord le design, l’art contemporain, les ventes de fonds d’atelier ou de collections, les tableaux et les estampes. Les vendredis seront, quant à eux, dédiés aux expertises gratuites et confidentielles », précise la maison Ader, qui peut déjà compter sur une petite salle des ventes intégrée dans ses locaux de la rue Favart.
« Nous fonctionnerons avec des ventes "capsules" pas trop longues de moins de 100 lots et hebdomadaires, afin de raccourcir la rotation des pièces dans les stocks », confie David Nordmann, codirigeant d’Ader avec Xavier Dominique. Et d’ajouter : « c’est aussi pour nous un débouché supplémentaire et un lieu plus souple d’utilisation que Drouot ». Toutefois, précise le commissaire-priseur, pas question d’abandonner Drouot, valeur sûre qui, couplé à son site en ligne, attire toujours beaucoup de monde. « Nous continuerons à être présents à Drouot pour les ventes de prestige », assure David Nordmann. Cette décision n’est pas sans rappeler celle de Millon, qui a diversifié ses lieux de vente en ouvrant en particulier il y a une dizaine d’années la salle VV… en face de Drouot.
S’il obéit à des questions de rentabilité pour les ventes de valeur moyenne ainsi que de fluidité du stockage, le choix fait par Ader semble aussi faire écho à la récente ouverture du capital de Drouot à plusieurs fonds d’investissement français, une première dans l’histoire du groupe. Même si certains observateurs soulignent que l’inauguration de la salle rue de la Grange-Batelière survient moins d’un an après le vote validant l’ouverture du capital de Drouot, en juin 2023, et devait donc être déjà dans les tuyaux…
David Nordmann avait fait partie des farouches opposants à cette décision avec notamment De Baecque et Millon. Et de confier son inquiétude. « Aujourd’hui, l’affectio societatis avec Drouot a changé, explique-t-il. Avant, il fallait nécessairement être actionnaire de Drouot pour en être l’utilisateur. Ce n’est plus le cas ». Et de poursuivre : « En outre, Drouot est devenu une société qui a pour vocation de gagner de l’argent, et plus seulement une entreprise de services au bénéfice des commissaires-priseurs, dont les bénéfices étaient réinjectés en circuit fermé. Nous devons être vigilants sur ce que les nouveaux actionnaires voudront faire de Drouot ». Iront-ils un jour, comme David Nordmann le suppute, jusqu’à lancer des salles des ventes siglées Drouot ?
En attendant, quel sera l’impact de cette défection pour Drouot ? Son président, le commissaire-priseur Alexandre Giquello, l’estime à « entre 15 et 20 % du produit des ventes d’Ader qui seraient donc réalisées en dehors de Drouot, soit autour de 10 millions d’euros ». Les plus petites maisons d’enchères restent, elles, très dépendantes de l’Hôtel des ventes, qui s’est aussi ouvert aux commissaires-priseurs de province, pour qui l’assouplissement des règles d’admission à Drouot représente une aubaine. Pour Alexandre Giquello, l’une des forces du lieu reste sa fréquentation : il n’est en effet pas rare que des visiteurs venus enchérir dans une vente jettent un œil aux autres vacations organisées le même jour, et y participent. « Des clients qui n’étaient pas prévus », souligne le président de Drouot. Quant aux angoisses d’une partie des commissaires-priseurs, ce dernier se veut rassurant : « Comment peut-on dire ce qui va se passer ?, dit-il. D’autant que 70 % des parts restent entre les mains des commissaires-priseurs, et que selon le règlement établi, les actionnaires du groupe B – les investisseurs – ne peuvent pas racheter les parts du groupe A, celui des commissaires-priseurs actionnaires ».