« AlUla est un grand et beau village pourvu de palmeraies et bénéficiant d’une eau particulière », écrivait le voyageur arabe Ibn Battûta au XIVe siècle. De nos jours, AlUla donne son nom à la région qui entoure ce village situé au nord-ouest de l’Arabie saoudite, dans une vallée fertile où, dans l’Antiquité, passait l’ancienne route de l’encens, laquelle reliait la péninsule au bassin méditerranéen. Zone de transit stratégique pour les caravanes qui y convoyaient leurs précieux chargements, la vallée d’AIUla, étalée sur près de 30 kilomètres, forma ainsi un berceau cosmopolite d’échanges commerciaux et culturels.
Ici, la nature grandiose apparaît préservée et les paysages désertiques, semblant comme mythiques, sont cernés de canyons de roches gréseuses et de plateaux basaltiques au pied desquels prennent place des oasis cultivées par l’homme dès le milieu du Ier millénaire avant notre ère. Portée par la volonté de transformer ce site en destination touristique majeure, la Commission royale pour AlUla, créée en 2017 par les autorités saoudiennes, travaille activement au développement de cette région qui a connu une remarquable succession d’occupations depuis la préhistoire. L’une des périodes les plus importantes fut celle des royaumes Dadanite et Lihyanite, lesquels se sont développés dès le VIIIe siècle avant notre ère, et dont subsistent des vestiges sur plusieurs sites, notamment ceux de Dadan et de Jabal Ikmah. Jusqu’à peu, ces derniers n’avaient pas encore été fouillés, ce qui les apparentait à de véritables terrae incognitae. Seuls, en effet, les pères dominicains de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem livrèrent au début du XXe siècle, avec le privilège des pionniers, les premières descriptions de la région.
Considérée comme l’une des villes les plus développées de la péninsule arabique au Ier millénaire avant notre ère, Dadan était autrefois un lieu clé sur l’ancienne route commerciale de l’encens : réputée pour la grande hospitalité qu’elle réservait aux voyageurs, elle accueille depuis cinq ans l’une des plus importantes missions archéologiques françaises déployées à l’étranger. Les récentes recherches ont mis au jour des tombeaux creusés à flanc de falaise, jusqu’à 50 mètres au-dessus du niveau du sol, lesquels présentent de petites ouvertures carrées, parfois surmontées de lions stylisés. En outre, d’impressionnantes statues anthropomorphes de grès rose, pouvant atteindre 2,5 mètres de hauteur, témoignent de l’extraordinaire habileté des Lihyanites dans la sculpture.
UN SITE PALIMPSESTE
Au Ier siècle avant notre ère, Dadan fut supplantée par la cité d’Hégra, fondée par les rois de Nabatène, venus pour contrôler à leur tour le prospère commerce des caravanes. Tout comme à Pétra (dans l’actuelle Jordanie), leur capitale, les Nabatéens font creuser dans la roche plus d’une centaine de tombeaux monumentaux, tous ornés de majestueuses façades à colonnades, formant un ensemble unique inscrit depuis 2008 au patrimoine mondial de l’Unesco. Ces vestiges étaient encore inexplorés il y a une vingtaine d’années, jusqu’aux premières fouilles réalisées par une équipe de scientifiques dont les recherches se sont accélérées depuis l’ouverture au public en 2019.
Avec l’avènement de l’Islam au VIIe siècle, la route de l’encens est devenue l’une des routes de pèlerinage vers les lieux saints : AlUla, la vieille ville labyrinthique construite en briques de terre cuite, et de nos jours en cours de restauration, y a tenu une place de choix. Les pèlerins profitaient de cette halte pour s’approvisionner en eau et en nourriture, et laissaient des témoignages de leur passage sur les roches. Car, dans toute la région, les milliers d’inscriptions rupestres gravées par les populations renseignent sur les alphabets préislamiques utilisés pendant l’Antiquité. À l’image de Jabal Ikmah, classé cette année au Registre « Mémoire du monde » de l’Unesco, ces sites constituent de véritables bibliothèques à ciel ouvert : gravées sur les parois de grès tendre, des textes officiels et juridiques, mais aussi des pétroglyphes spontanément laissés par les voyageurs forment autant de messages à déchiffrer qu’à admirer. C’est d’ailleurs l’objet des deux projets programmés à Dadan et Jabal Ikmah, sous la direction de l’architecte Clément Vergély, où seront édifiés des centres d’interprétation.