De la Joconde immortalisée par Léonard de Vinci à Marilyn Monroe sérigraphiée par Andy Warhol, il est des visages qui ont fait l’histoire de l’art. Représentatifs de deux approches radicalement opposées, l’un comme l’autre de ces portraits pourraient finalement être qualifiés d’assez classiques, si l’on s’en tient à leur réalisme. Entre ces deux jalons, le visage a subi maintes transformations, malmené, métamorphosé, dissimulé, voire effacé, par les artistes. C’est cette période de rupture et les mutations qu’elle a fait naître qui intéressent Itzhak Goldberg. Dans Face au visage, l’historien d’art décrypte le statut privilégié dont a bénéficié le visage auprès des artistes qui, aux XXe et XXIe siècles, ont sans cesse cherché à lui offrir de nouvelles formes. Pour cet opus « à la lisière entre l’essai personnel et la recherche», l’auteur a choisi de suivre un parcours thématique ponctué à chaque chapitre de mise au point sur l’approche d’un artiste : Diego Giacometti, Francis Bacon, Pierre Bonnard, Léon Spilliaert et Pablo Picasso.
QUAND LE VISAGE DEVIENT MATIÈRE
Itzhak Goldberg ouvre cette histoire par une rupture, celle engagée par Francisco de Goya. Au tournant du XIXe siècle, le peintre espagnol ne croit plus à la «transcendance visible du visage» qu’il représente désormais tel qu’il est. Cette approche de Goya annonce pour Itzhak Goldberg « l’éclatement de la tradition du portrait classique au XXe siècle ». Ainsi désacralisé, le visage peut enfin devenir matière. Malléable à souhait, il s’abandonne aux expérimentations picturales. Au fil des pages, l’on découvre les multiples voies « empruntées » par le visage. Il est d’abord observé à travers le prisme du portrait et des contraintes sociales ou scientifiques auxquelles il doit répondre. Itzhak Goldberg s’intéresse également à son exagération par la caricature ou, au contraire, aux interdits de représentation entourant certains visages qui, s’ils apparaissent, se montrent légendaires ou miraculeux. Plus loin, ce miroir de l’âme devient masque, pour les vivants ou les morts. Outre ces thématiques, la face humaine est à la merci des expérimentations artistiques : déformée ou évidée par les artistes de la modernité, avant de finalement retrouver sa forme originelle par le biais du retour au réalisme des années 1960, jusqu’à se reproduire dans l’infini de l’art sériel. Sont aussi abordées les questions de l’autoportrait qui échappe bientôt au monde de l’art pour évoluer vers le selfie, ainsi que des visages posthumains qui n’ont pas fini de nous surprendre. Face au visage est porté par la plume accrocheuse de son auteur et la richesse de ses exemples, lesquels permettront quelques (re)découvertes. L’ouvrage nous montre surtout à quel point le visage, quels que soient sa forme ou son état, malmené, dépouillé, voire nié, par les artistes, ne se défait en aucun cas de son aura.