Des personnalités du monde de l’art néerlandais tirent la sonnette d’alarme sur les risques que pourrait faire subir à long terme le futur gouvernement sur la vie culturelle du pays. En novembre 2023, le député anti-immigration Geert Wilders et son Parti pour la liberté (PVV) sont sortis vainqueurs des élections législatives aux Pays-Bas. Quatre partis de droite envisagent à présent de former une coalition.
Les répercussions sur la réputation culturelle du pays à l’échelle mondiale, sur la restitution des œuvres d’art pillées, sur le financement des arts et sur l’accès des étudiants étrangers et sur les artistes en résidence suscitent de vives inquiétudes.
Pendant la campagne électorale, le PVV a publié un manifeste dans lequel il s’engageait à « mettre fin aux subventions à l’art et à la culture », affirmant que les Néerlandais « de souche » sont « discriminés » dans des domaines tels que les arts. « Nous supprimerons toutes les subventions absurdes accordées à l’art, à la culture, à la radiodiffusion publique, aux expatriés et à la protection de l’environnement », peut-on lire dans le manifeste.
La semaine dernière, l’Association néerlandaise des musées a averti que si les citoyens titulaires de cartes annuels de musées pour leurs visites sont plus nombreux que jamais, le financement public doit être maintenu car certaines institutions sont en difficulté. « Il est extrêmement important que les musées restent financièrement sains à l’avenir et qu’ils soient accessibles à un large public, ce qui signifie que le gouvernement doit continuer à investir dans notre patrimoine commun », a plaidé sa directrice, Vera Carasso.
Selon nos informations, le monde de l’art néerlandais s’inquiète également de la politique que pourrait mener un gouvernement dirigé par Geert Wilders en matière de restitution. L’approche en la matière a changé en 2020 pour faire preuve de « plus d’humanité et de bonne volonté » s’agissant des œuvres d’art spoliées par les nazis. Parallèlement, les Pays-Bas ont restitué près de 500 objets coloniaux confisqués à l’Indonésie et au Sri Lanka l’année dernière.
Des personnalités du secteur artistique néerlandais ont exprimé publiquement et en privé leurs inquiétudes, soulignant la valeur économique, sociale et immatérielle d’une scène culturelle florissante.
Wim Pijbes, ancien directeur général du Rijksmuseum, aujourd’hui directeur de la fondation Droom en Draad et figure clé du futur FENIX Museum of Migration à Rotterdam, a déclaré à The Art Newspaper qu’il était temps de faire de la culture une priorité. « Quatre partis tentent de former un nouveau gouvernement, mais on ne sait pas encore s’ils y parviendront ou non ; peut-être est-il trop tôt pour porter un jugement définitif, a-t-il commenté. J’invite le nouveau gouvernement à garder à l’esprit que la culture est fragile. Elle se brise plus facilement qu’elle ne se répare, et il faut beaucoup de temps pour se remettre d’un revers, qu’il s’agisse d’argent, de confiance ou d’un monde en mutation. La culture s’inscrit dans le long terme et il est difficile de la mesurer… Mais si vous perturbez les connexions, les effets risquent d’être beaucoup plus importants et imprévisibles. »
Selon Emily Pethick, directrice de la Rijksakademie d’Amsterdam – qui gère un programme international de résidences d’artistes et encourage les futurs talents à travailler dans l’enseignement, les musées et autres espaces publics –, les institutions souffrent encore des effets des coupes budgétaires dans le secteur culturel en 2011 et de la pandémie de Covid-19. Elle craint que les tentatives de limiter l’immigration, l’une des principales cibles du nouveau gouvernement potentiel, ne leur portent préjudice.
« La Rijksakademie accueille au moins 24 artistes internationaux par an, de sorte que les limitations futures indiquées en matière d’immigration sont très préoccupantes, poursuit-elle. Une grande partie du bénéfice pour les artistes néerlandais est de travailler et d’échanger avec des pairs internationaux ; grâce à ces interactions, ils établissent des liens qui les emmènent vers d’autres parties du monde. Il est déjà très difficile pour les artistes de rester ici au-delà de leur résidence et de contribuer à la scène artistique [locale]. Si on limite encore cette possibilité, on assistera à un rétrécissement de la dimension internationale actuelle, ce qui serait extrêmement préjudiciable et créerait certainement une scène culturelle plus déconnectée et repliée sur elle-même. »
Annabelle Birnie, directrice du H’ART Museum (anciennement l’Hermitage d’Amsterdam), souligne de son côté que les arts et la culture aident la société néerlandaise à traiter les problèmes et les questions difficiles en évitant les conflits. Bien que son musée ne reçoive aucun financement public, il dépend de la collaboration internationale avec le Centre Pompidou à Paris, la Smithsonian Institution aux États-Unis et le British Museum à Londres. Sans cet apport mondial, dit-elle, le pays s’appauvrirait. « Il s’agit d’une scène internationale, d’une grande chaîne, et si quelque chose est cassé, c’est mauvais pour tout le monde, dit-elle. Les artistes comptent sur leurs écoles d’art, les musées sont tributaires des artistes, et si la chaîne se brise, cela ne nous aidera pas à développer les outils du XXIe siècle pour regarder le monde dans lequel nous vivons. Il y a beaucoup à gagner avec l’art et la culture. Et nous sommes trop petits pour nous replier sur nous-mêmes. »