Lorsqu’elle éclate en 2005, l’« affaire Bogousslavsky » fait couler beaucoup d’encre et laisse incrédule le monde de la bibliophilie. Comment Julien Bogousslavky, neurochirurgien mondialement connu, spécialiste de l’AVC, s’est-il laissé emporter – selon ses propres mots rapportés par Libération lors de son procès en 2010 – par cette « spirale infernale » ? Quelle folie a conduit cet amateur érudit, passionné par les auteurs, les artistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, à produire de fausses factures d’achat de matériel médical et ainsi récupérer des fonds pour financer sa collection ? « Une fuite en avant dans ma passion des livres, j’étais pris dans un étau », explique-t-il alors devant la justice, toujours selon Libération. Lors de sa condamnation (une peine assortie de sursis), le tribunal correctionnel de Lausanne tient compte de ses remords et de la vente, organisée en 2006 par Christie’s, d’une partie de sa collection : elle récolte 4,2 millions d’euros et permet ainsi de rembourser les parties civiles.
Le libraire parisien Jean-Claude Vrain, déjà expert sur cette vacation, est aujourd’hui associé à la maison de ventes Giquello pour disperser 112 ouvrages, lettres et documents provenant de la bibliothèque de Julien Bogousslavky. « Une collection sensible, subtile et intelligente, souligne-t-il, sans volonté d’accumuler ou d’acheter des livres exclusivement rares et coûteux. Le fil rouge de cette sélection est animé par l’envie d’associer les écrivains, les poètes aux peintres ou aux illustrateurs de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Chaque œuvre enrichie d’une dédicace, d’une note ou d’un dessin raconte une histoire souvent intime. On voyage au-delà du manuscrit, ce sont des choses vivantes et pas nécessairement très chères ».
En témoigne cet exemplaire des Stalactites par Théodore de Banville dont la dédicace prend la forme d’un poème romantique dédié à Marie Daubrun, actrice qui fut la maîtresse de l’auteur, comme elle fut celle de Baudelaire, et dont la propre collection a aujourd’hui disparu (est. 1 200-1 800 euros). Parmi les pièces d’exception figurent Le Bestiaire ou cortège d’Orphée d’Apollinaire relié par le maître de l’Art déco Pierre Legrain, et illustré par Raoul Dufy (est. 55 000-75 000 euros), ou le seul exemplaire de tête resté broché d’origine (non relié) du drame d’Alfred Jarry Ubu Roi (est. 40 000-60 000 euros). Deux chefs-d’œuvre du surréalisme se distinguent encore dans la vente : L’Immaculée Conception, dédicacé à Valentine Hugo, par Breton, Éluard et Dalí (est. 100 000-150 000 euros)et le Je sublime de Benjamin Péret accompagné de huit frottages originaux de Max Ernst (est. 100 000-150 000 euros).
Cette vente pourrait-elle ressembler à un épilogue, une dernière étape sur le chemin de la rédemption ? À cette question, Jean-Claude Vrain dément fermement : « Julien Bogousslavky a payé depuis bien longtemps sa dette. Il n’abandonne rien, il ne cherche pas à oublier son histoire. Au contraire, il veut la partager et la transmettre ».
« Collection Julien Bogousslavsky – poètes et peintres du Romantisme au Surréalisme – Livres, dessins et documents de la collection Julien Bogousslavsky », vendredi 2 février 2024, Giquello, Hôtel Drouot, 75009 Paris, www.giquelloetassociés.fr