Adriano Pedrosa, commissaire de la 60e Biennale de Venise qui débutera en avril, a dévoilé ce mercredi 31 janvier 2024 les contours de l’exposition internationale. Intitulée « Foreigners Everywhere », elle réunira 332 artistes et se déroulera dans un « monde en proie à des crises liées à la circulation des personnes à travers les frontières », a déclaré Adriano Pedrosa lors d’un point de presse tenu à Venise.
« Où que vous alliez, vous rencontrerez toujours des étrangers… Quel que soit l’endroit où vous vous trouvez, vous êtes toujours au fond de vous un étranger », a encore déclaré le commissaire. Son approche tient compte de toutes « les différences et les disparités conditionnées par [des questions telles que] la race, la sexualité, la richesse, etc. ».
Adriano Pedrosa estime que ses propres expériences se reflètent dans la thématique choisie. « J’ai vécu à l’étranger et j’ai eu la chance de beaucoup voyager », a-t-il déclaré, soulignant qu’il a souvent été traité comme un « étranger du tiers-monde » alors qu’il détient « l’un des passeports les plus prestigieux du Sud global [Adriano Pedrosa est un citoyen brésilien]. » « Je m’identifie également en tant que queer, je suis le premier commissaire ouvertement homosexuel [de la Biennale] », a-t-il déclaré.
La thématique choisie prend une résonance particulière à Venise, a-t-il ajouté : « À une certaine époque, Venise était le centre commercial le plus important de la Méditerranée. La population [d’aujourd’hui] est de 50 000 habitants ; elle peut atteindre 165 000 habitants pendant les périodes de pointe en raison du nombre considérable de touristes… des étrangers privilégiés ».
Il a également déclaré que cette thématique peut être considérée comme « un appel à l’action. Ceci revêt une importance cruciale en Europe, puisque le nombre de personnes déplacées de force a atteint son niveau le plus élevé en 2022, soit 108 millions, et que ce nombre devrait encore augmenter en 2023 ».
Le titre de la Biennale est issu d’une série d’œuvres du collectif Claire Fontaine, formé à Paris et basé actuellement à Palerme. Ses sculptures en néon reproduisent la phrase « Stranieri Ovunque » ou « Étrangers partout » (ces termes proviennent initialement du nom d’un collectif turinois qui a lutté contre le racisme et la xénophobie en Italie au début des années 2000). Plusieurs sculptures de Claire Fontaine seront exposées sur le site de l’Arsenale.
Les artistes indigènes auront une forte présence – « emblématique » – dans l’exposition, a déclaré Adriano Pedrosa. Le collectif Mahku, originaire de la zone frontière entre le Brésil et le Pérou, réalisera une peinture murale monumentale sur la façade du pavillon international dans les Giardini. Dans l’Arsenale, le collectif Mataaho de Nouvelle-Zélande présentera une grande installation qui se déploiera de façon symbolique dans la première salle de la Corderie de l’Arsenale.
Des artistes queers seront exposés dans l’un des « Nucleo contemporaneo » (noyaux contemporains), notamment Erica Rutherford (Royaume-Uni/Canada), Isaac Chong Wai (Berlin/Hongkong), Elyla (Nicaragua), Violeta Quispe (Pérou), Louis Fratino (États-Unis) et Dean Sameshima (États-Unis). Une salle consacrée à « l’abstraction queer » présentera des œuvres d’Evelyn Taocheng Wang, née en Chine.
Une section spéciale sera également consacrée aux Archives de la désobéissance, créées par Marco Scotini et décrites sur le site Internet de l’organisation comme un « guide de l’utilisateur pour quatre décennies de désobéissance sociale vue à travers l’histoire et la géographie ».
Dans l’exposition, l’accent sera mis sur le textile, avec des œuvres du collectif chilien Bordadoras de Isla Negra, ainsi que des artistes Dana Awartani (Palestine/Arabie saoudite), Frieda Toranzo Jaeger (Mexique), Liz Collins (États-Unis), Pacita Abad (Philippine) et Yinka Shonibare (Royaume-Uni/Nigeria). Une section sera également consacrée à des familles d’artistes, des créateurs ayant des liens de parentés, dont Susanne Wenger (Autriche/Nigeria) et son fils adoptif, Sangodare Gbadegesin Ajala (Nigeria). Cette section comprendra également les œuvres du couple Lorna Selim (Royaume-Uni) et Jewad Selim (Irak).
La Biennale présentera également un « Nucleo storico » (noyaux historiques), une section réunissant des œuvres d’artistes du XXe siècle originaires d’Amérique latine, d’Afrique, du monde arabe et d’Asie, datant de 1905 à 1990. « Tout au long du XXe siècle, le modernisme européen s’est diffusé bien au-delà de l’Europe, souvent en lien avec le colonialisme, et de nombreux artistes du Sud se sont rendus en Europe pour y être exposés. Pourtant, le modernisme a été assimilé, digéré et cannibalisé dans les pays du Sud, prenant à plusieurs reprises des formes radicalement nouvelles en dialogue avec les références locales et indigènes », a déclaré Adriano Pedrosa.
Le « Nucleo storico » sera divisé en trois sections – portraits, abstraction et diaspora italienne] qui comprendront une œuvre par artiste, et seront réparties entre le Pavillon international et l’Arsenale. La section des portraits réunira 112 artistes, dont Selwyn Wilson (Maori), Cícero Dias (Brésil/France), Yêdamaria (Brésil), Laura Rodig (Chili), Rómulo Rozo (Colombie), Inji Aflatoun (Égypte), Grace Salome Kwami (Ghana), Lee Quede (Corée du Nord) et Gerard Sekoto (Afrique du Sud/France).
La section « Abstraction » rassemblera Sandy Adsett (Nouvelle-Zélande), Fanny Sanín (Colombie), Etel Adnan (Syrie/États-Unis/France/Liban), Eduardo Terrazas (Mexique) et Samia Halaby (Palestine). La section consacrée à la diaspora artistique italienne dans le monde au XXe siècle présentera des artistes tels que Lidy Prati (Argentine), Nenne Sanguineti Poggi (Italie/Érythrée/Éthiopie), Gianni Bertini (Italie/France) et Lina Bo Bardi (Italie/Brésil).
Roberto Cicutto, président sortant de la Biennale, a souligné la dimension politique de la manifestation. Sa dernière édition en date, en 2022, était « prophétique compte tenu des événements tragiques de ces quatre dernières années… [avec en toile de fond] l’agression russe en Ukraine, l’attaque du Hamas en Israël et les conséquences tragiques [du bombardement israélien] de la bande de Gaza ». La Biennale est un « point de vue privilégié [d’où l’on] peut surveiller le monde », a-t-il ajouté. Roberto Cicutto sera remplacé en mars prochain par l’ancien journaliste de droite Pietrangelo Buttafuoco choisi par le gouvernement de coalition mené par l’extrême droite de Giorgia Meloni. Un nouveau chapitre assurément…
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« Étrangers partout », 60e Biennale de Venise, du 20 avril au 24 novembre 2024, Giardini et Arsenale, Venise, Italie