Le nom d’Alexandre-Jean Dubois (1790-1834), qui accola le patronyme de son épouse, Drahonet, au sien, est moins connu que certains de ses portraits, passés à la postérité. Et c’est tout à l’honneur du musée d’Art et d’Histoire de Versailles de retracer en quatre salles et soixante-neuf prêts le fil de sa carrière versaillaise.
Longtemps oublié, cet élève de Jean-Baptiste Regnault (1754-1829) a attiré toute l’attention en 2014, quand Christie’s Londres a vendu pour presque 390 000 euros (soit près de vingt-cinq fois le prix de l’estimation) un portrait monumental de la marquise de Londonderry qu’il a peint en 1831. Puis en 2017, lorsque le Clark Art Institute, à Williamstown (Massachusetts), a acquis chez Christie’s New York pour 295 500 euros le Portrait d’Achille Deban de Laborde (1817). Cette dernière acquisition faisait suite à l’entrée dans les collections du Los Angeles County Museum of Art (LACMA) en 2007 du Portrait de monsieur Gest (1819), ce qui a sufi pour que le peintre versaillais regagne ses galons sur le marché de l’art international. Certains se souviennent aussi de la paire de tableaux représentant des jeunes femmes nues montrées par le marchand Guy Stair Sainty.
Si aucun de ces cinq tableaux n’est présent dans l’exposition « Alexandre-Jean Dubois-Drahonet (1790-1834), un talent retrouvé », la France n’est pourtant pas en reste, puisque la bibliothèque Marmottan, à Boulogne-Billancourt, conserve l’imposant Portrait d’Édouard-César Deban de Laborde (1817), le pendant de l’huile sur toile conservée au Clark Art Institute. Le jeune garçon vêtu en militaire rend ici hommage à son père, héros des armées impériales tombé à la bataille de Wagram, dont il entoure de ses bras le buste couronné de lauriers. Cette image de dévotion filiale réalisée par un peintre qui avait abandonné les pinceaux après sa participation au Salon de 1812 pour s’engager volontairement dans la Garde impériale est d’une sincérité émouvante. Le portrait témoigne de la fascination de l’artiste pour la chose militaire, et en particulier le faste vestimentaire, mais aussi son respect pour les belles carrières dédiées à la grandeur de la France. Politiquement, Alexandre-Jean Dubois-Drahonet et la famille du modèle ne manquent pas d’ambiguïté, puisque le tableau, daté de 1817, est un acte d’allégeance à l’Empire déchu.
UN GOÛT CERTAIN POUR LA MODE
Pour autant, Alexandre-Jean Dubois-Drahonet fut un serviteur assidu des Bourbons et des Orléans, mais aussi des cours anglaises et hollandaises. Ces portraits de cour, notamment ceux des enfants royaux, fascinent par la distance que le peintre instaure avec ses modèles, auxquels il insuffle une majesté étonnante grâce aux pauses imposantes et convenues. Comme lorsqu’il réalisait ses portraits d’officiers, Alexandre-Jean Dubois-Drahonet traduit en peinture sa propre admiration et livre ainsi pleinement de lui-même. C’est le cas du Portrait de la princesse Louise d’Artois, fille de la duchesse de Berry, sur la plage de Dieppe (1830, The Horvitz Collection, Wilmington, Delaware) dont il montre plus le rang social que la fragilité de l’enfance.
Aussi, et c’est tout le talent du peintre, celui-ci accorde-t-il une place essentielle aux habits et aux bijoux au point d’inverser parfois l’ordre des choses, les modèles devenant les accessoires de ces éloges des ouvrages de mode. Sur le Portrait de Willemine-Louise et Henrietta Agnes van Loon (1826, Museum Van Loon, Amsterdam), le bonnet noir destiné à protéger l’enfant des chutes prend le pas sur le reste de la composition. Le Portrait en pied de S.A.R. Madame, duchesse de Berry (1828, musée de Picardie, Amiens), dans son grand salon du pavillon de Marsan aux Tuileries, est un plaidoyer en faveur du rôle déterminant joué par celle-ci auprès des créateurs. Le foisonnement de soieries et de velours, des fourrures, des pierreries, l’abondance des meubles, la préciosité des tissus d’ameublement et du tapis confèrent à l’ensemble une grandiloquence, tout en maintenant le mystère sur le personnage dont il ne tente pas de percer les secrets, le peintre respectant la bienséance et la préséance.
Tout l’œuvre peint d’Alexandre-Jean Dubois-Drahonet n’est pas du même acabit, et c’est peut-être l’un des défauts de l’exposition que de présenter un trop large panel d’œuvres dont certaines paraissent moins grandioses. Elles rendent néanmoins compte d’une époque et de ses couleurs. Les passionnés d’histoire du costume ne manqueront pas de noter le vert d’eau du foulard de Marie-Anne-Amélie Lefuel (1817, collection particulière), la boucle d’oreille de madame Gest (collection particulière, Vienne) ou l’étonnante coiffure de fleurs de Marie-Adélaïde Huard (1816, musée Lambinet, Versailles)
UN PORTRAIT MYSTÉRIEUX
L’une des curiosités de la rétrospective est un portrait de jeune femme sur lequel est notée l’inscription « Dubois D. / 1820, à mon bon ami Théodore ». L’ami Théodore en question serait-il Géricault ? Et le modèle Alexandrine-Modeste de Saint-Martin, sa tante, comme le suggèrent les commissaires de l’exposition ? Jolie façon de se (re)plonger dans l’un des épisodes les plus romanesques de la vie du peintre du Radeau de la Méduse. La jeune noble qui épousa l’oncle de Théodore Géricault donna en effet naissance en août 1818 à un fils du peintre, son cadet de cinq ans. Le tragique de cette histoire d’amour fut révélé pleinement lorsque Andrée Chédid imagina en 1992 Dans le soleil du père : Géricault, le journal intime tenu par Hippolyte qui ne sera reconnu et autorisé à porter le patronyme de son père qu’après la mort de celui-ci.
Aussi, une lettre d’Hippolyte datée de novembre 1875 et passée en vente chez Tajan en 2002 dit tout du destin dramatique de la jeune femme passionnée : « Les décennies s’étant écoulées, le notaire s’est autorisé à me confier qu’il s’agissait d’Alexandrine Caruel, la jeune épouse de Jean Baptiste Caruel, l’oncle de mon père. Ce dernier hébergea longtemps son neveu à Versailles, l’entoura d’attentions, prit soin de ses études, s’intéressant à sa peinture et trouva à le placer dans l’atelier de Carle Vernet. Lorsque la liaison de Théodore et de sa tante fut découverte, le père du jeune Géricault et l’époux outragé décidèrent que l’enfant né de cette passion serait à jamais banni et placé chez des parents nourriciers. On ordonna aussitôt aux jeunes gens de ne pas chercher à le voir ni à se revoir. Ces dispositions furent exécutées à la lettre. Condamnée par les siens et par la société, Alexandrine, séquestrée, se mura dans le silence le restant de sa vie. […] Tout cela est beaucoup trop loin. Sans issue ».
Grâce soit rendue au musée Lambinet qui permet peut-être à la jeune femme d’être en lumière.
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« Alexandre-Jean Dubois-Drahonet (1790-1834), un talent retrouvé », 25 novembre 2023 - 25 février 2024, musée Lambinet, 54, boulevard de la Reine, 78000 Versailles.