Comme une manière poétique de contredire l’habituelle rétrospective monolithique, l’exposition « Ni île », qui se tient au Frac Normandie, à Caen, rassemble des œuvres anciennes et récentes de Gerald Petit, mêlées à celles d’artistes amis qui ont jalonné son parcours au fil des années.
« Ni île » s’ouvre sur un immense ciel peint presque entièrement noir tant il est sombre, agissant en préambule à ce qui se dessinera ailleurs, plus loin. Mais ni noir ni blanc n’ont été utilisés pour le faire apparaître : ce ciel inquiétant est né d’une stratification de couleurs qui, à force de superposition, se sont annihilées les unes les autres.
Réalisée pour l’exposition, et donnant cours à de récentes intuitions, la série de ciels qui se déploie ensuite laisse affleurer à la surface de chaque toile une météorologie intense, entre éclat de couleurs et chaos intérieur. De temps à autre, quelques riffs de guitare interprétés par le musicien Shawn Lee s’envolent dans la pièce en soulevant les rideaux, l’air de presque rien.
Intrigue et rêverie mêlés
On glisse lentement d’un vaste espace à l’autre en remarquant ici des roches peintes, là des pieds sculptés que l’on pourrait croire suspendus (Adélaïde Feriot), pour découvrir une cartographie d’îlots colorés ou des rouleaux de sable tunisien (Ismaïl Bahri), la gravure sur bois d’une vague, deux fusils enchâssés (Laurent Montaron), des épingles géantes (Lilian Bourgeat), des visages siamois (Nina Childress), une vidéo de nuit (Ange Petit) ou un teckel pixelisé (Loïc Raguénès). Ces œuvres – prêtées pour l’occasion ou appartenant à l’artiste – dessinent ensemble et au ras du sol les cinq chapitres d’un récit mêlant habilement intrigue et rêverie. Au mur, des mains peintes à l’huile sur bois nous adressent en silence des signes à interpréter, des gestes interrompus.
Et c’est en faisant demi-tour, pour remonter le cours de « Ni île» , que trois toiles aux couleurs vives nous coupent dans notre élan, trois boîtes factices de papier photographique Ilford hors format. Qui sait si elles contiennent intrinsèquement vingt ans d’une pratique entremêlant peinture et photographie, échanges artistiques au long cours et élaboration spontanée d’une œuvre hétéroclite… Éparses, ses balises, plus singulières les unes que les autres, donnent toute sa tonalité et son ampleur à cette île qui n’en est pas, où les images s’impriment en se dérobant.
-
« Gerald Petit. Ni île », 14 octobre 2023 - 18 février 2024, Frac Normandie, 7 bis, rue Neuve-Bourg-l’Abbé, 14000 Caen.