Claude Viallat ne s’est pas privé de l’opportunité offerte par le Carré d’Art. Il a pris totalement possession des lieux, depuis son vaste hall d’entrée jusqu’au sommet de sa verrière, y traçant une diagonale, du sol au plafond, avec une des deux immenses toiles vues en 2017 à Paris au Jardin des Tuileries dans le cadre de la FIAC hors les murs. Une deuxième toile de format identique découpe l’espace en soulignant son horizontalité d’une part, sa verticalité de l’autre. Ajoutée à cette installation spatiale, la suppression des cloisons séparant les salles du deuxième étage de l’escalier monumental offre une perspective plongeante sur ces mêmes salles vitrées et inversement.
Ce principe d’élargissement sans réserve et d’interprétation libre de son travail se retrouve également dans le parcours de l’exposition. Celui-ci ne comporte ni textes aux murs, ni cartels (à quelques exceptions près), ni dates, ni mentions de collections, puisque la quasi-totalité des peintures et des objets de Viallat sont « Sans titre ». Réalisés au cours de ces huitdernières années, ils proviennent directement de son atelier. L’artiste affirme « avoir recréé quelque peu l’ambiance de celui-ci » en amplifiant et en enrichissant cette exposition de nombreux objets qu’il assemble notamment autour de la pratique du nœud. Filets, cordages, sangles, bois flottés, cerceaux, cercles de barriques, cagettes – autant d’éléments trouvés sur les territoires nîmois et méditerranéens. Ce rapport au territoire et aux possibilités qu’il offre sous-tend en partie le travail de Claude Viallat, tout comme celui d’autres membres (ou associés) du groupe Supports / Surfaces, originaires du Sud, tels Patrick Saytour, Daniel Dezeuze, Noël Dolla ou Toni Grand, dont une remarquable rétrospective vient de s’ouvrir au musée Fabre à Montpellier.
Si les salles ne sont pas ici à proprement parler thématiques, chacune possède sa propre identité : découpes, césures, assemblages, séquences colorées, juxtaposition des matières, déstructurations textiles, tissus ornementaux, mises en tension entre le vide et le plein, sans oublier un mur consacré à la tauromachie et quelques hommages. Claude Viallat joue de tous ces éléments et de la grammaire qui leur est spécifique pour créer de subtils échos d’une salle à l’autre.
Les objets de Viallat qui ponctuent le parcours – disposés au sol, accrochés au mur, parfois en suspension – ne sont pas ceux d’un sculpteur, mais d’un assembleur cultivant des équilibres précaires comme a pu le faire Picasso à ses débuts de sculpteur cubiste.
Plus encore que dans ses autres expositions sans doute, cette déambulation dans l’œuvre du peintre nîmois se vit comme une expérience des couleurs, des formes, des supports et des matières à la rencontre d’une liberté créative jamais prise en défaut après plus de soixante ans de pratique et en perpétuelle mutation à partir de sa matrice unique.
« Claude Viallat. Et pourtant si… », jusqu’au 3 mars 2024, Carré d’Art, place de la Maison Carrée, 30000 Nîmes, www.carreartmusee.com
Catalogue, 216 p., Éditions Carré d’Art, 39 euros.