À la suite de l’actualisation de ses directives, l’Arts Council England (ACE) est accusé de limiter la liberté d’expression et d’autres libertés publiques. Les nouvelles règles de son Cadre relationnel énoncées en janvier avertissent les organisations bénéficiant de son soutien que les déclarations « ouvertement politiques ou militantes » peuvent entraîner un « risque de réputation » et mettre en péril les accords de financement.
La nouvelle de cette actualisation, d’abord rapportée par Arts Professional, a suscité des critiques de la part d’un grand nombre de professionnels de la culture sur les réseaux sociaux. « Nous ferions mieux de nous taire, de faire de l’art aussi intéressant qu’un paquet de porridge et d’espérer que personne ne nous pose de questions sur notre politique, nos principes ou nos convictions, a posté sur X le poète Anthony Anaxagorou. Encore un pas de plus vers la censure de la liberté d’expression. C’est l’antithèse de l’art et de la littérature. »
Selon les nouvelles lignes directrices, le fait pour une entreprise d’aller au-delà de son « objectif principal » ainsi que des « partenariats avec des organisations qui pourraient être perçues comme étant en conflit avec les objectifs du financement public de la culture » constituent pour l’ACE un risque de réputation. Celui-ci peut également être causé non seulement par une organisation elle-même, mais aussi « par le personnel et d’autres personnes associées à l’organisation agissant à titre personnel », est-il ajouté.
L’annonce de l’ACE intervient une semaine après que la ministre britannique de la Culture, Lucy Frazer, a ordonné une réforme complète de l’organisation.
Cette actualisation intervient également après qu’un certain nombre de structures financées par l’ACE ont été critiquées pour leurs prises de position dans le conflit entre Israël et le Hamas. En novembre, la galerie Arnolfini de Bristol a dû présenter des excuses publiques après avoir annulé deux événements pendant le festival du film palestinien de la ville.
L’impact potentiel de cette nouvelle directive sur la liberté d’expression face au conflit en Palestine a été commenté par un certain nombre de personnes sur les réseaux sociaux : « En tant qu’artiste, j’ai présenté de nombreuses expositions collectives et individuelles dans des espaces financés par l’ACE et je suis scandalisé par cette décision, déclare Sam Keogh sur Instagram. C’est de la censure. Et cela se produit au milieu d’un génocide. Libérez la Palestine. »
Un porte-parole de l’ACE réfute le fait que la nouvelle politique soit liée à la guerre entre Israël et le Hamas. « Pour être clair, nous avons actualisé le cadre de réputation en janvier 2024, non pas en raison du conflit entre Israël et Gaza, mais en réponse aux demandes des organisations que nous finançons qui cherchaient un soutien pratique afin de développer des politiques et des processus les aidant à gérer le risque de réputation d’une manière qui les maintient, leur personnel et leurs communautés, en sécurité », a-t-il déclaré à The Art Newspaper
La directive précise que l’ACE évaluera les niveaux de risque tous les trois mois, ou lorsqu’ils se présentent, ce qui pourrait donner lieu à un « suivi » ou à une « intervention ». « Nous nous baserons sur votre niveau de risque pour déterminer si des changements dans notre relation sont nécessaires et/ou si d’autres interventions ou conditions supplémentaires à l’accord de financement sont nécessaires pour aider votre organisation à réduire son niveau de risque », précise le document.
Les défenseurs des libertés publiques ont mis en garde contre l’effet dissuasif que pourrait avoir cette nouvelle politique. Jesse Joe Jacobs, directeur du Democracy Network, a posté sur X : « Les organisations à but lucratif, y compris celles financées par le gouvernement, peuvent faire du lobbying, s’exprimer, faire de la politique et même financer des partis. Pourtant, les organisations à but non lucratif, caritatives et communautaires craignent de plus en plus d’utiliser leur voix pour dire la vérité au pouvoir… Les artistes et les leaders de la société civile ont une connaissance approfondie des problèmes auxquels nous sommes tous confrontés et, au fil des ans, ont façonné la société, les politiques et la culture pour le bien de tous. Nous devrions trouver des moyens pour que ces voix soient amplifiées, et non minimisées. »
À la suite de ces réactions négatives, l’ACE a publié une déclaration dans laquelle il présente ses excuses pour son manque de clarté et assure que ses « orientations ne cherchent pas à censurer la liberté de création d’un artiste ou d’une organisation, ni leur liberté d’expression – y compris d’une manière qui défie les institutions et les autorités. »
Cependant, d’éminents défenseurs des libertés publiques continuent d’inciter l’ACE à revoir d’urgence cette nouvelle directive. Selon Sue Tibballs, directrice générale de la Sheila McKechnie Foundation, qui défend des collectifs issus de la société civile : « Leur "clarification" va dans le sens du droit des artistes à remettre en question le statu quo, mais il n’en reste pas moins que le cadre, comme une grande partie de la loi et des orientations affectant les organisations caritatives militantes, rend très difficile la possibilité de le faire en toute confiance. La publication par l’ACE de cette mise à jour de ses lignes directrices constitue une évolution très inquiétante qui, je le crains, amènera de nombreux artistes à ne plus prendre part au débat politique. »
Le 15 février, un porte-parole de l’Arts Council England a déclaré qu’une nouvelle version des directrices serait publiée « dès que possible », conséquence des nombreuses réactions négatives. « Il est très clair, d’après ce que nous avons entendu, que la formulation que nous avons employée dans notre actualisation est susceptible d’être mal interprétée, a déclaré l’organisation. Nos échanges avec les organisations nous ont appris qu’elles ont besoin d’aide pour gérer des problèmes complexes et risqués, et c’est la raison d’être du Cadre relationnel. Mais à la lumière de ce que nous avons entendu cette semaine, nous allons réexaminer certaines des formulations que nous avons utilisées et nous les clarifierons pour qu’elles reflètent pleinement notre intention initiale. »