Le monde est un abri, exposition monographique que le CPIF consacre à l’œuvre majeure de la photographe Valérie Jouve, s’offre d’emblée comme une manière de croire en son titre. De multiples formats, issus du fond de la photographe et de séries menées depuis le milieu des années 1980 dans les lieux inhérents à ce que Valérie Jouve nomme sa « biogéographie » — de Saint-Etienne à Latour-sur-Sorgues en passant par Marseille, New York ou Jaffa — se dévoilent au fil d’un accrochage pensé comme une partition. Installées dans un rapport de proximité et de distance savamment composé, les images offrent au regard la possibilité d’une circulation continue, faisant s’entremêler analogies, effets miroirs ou souvenirs enfouis. Quelques fleurs et arbustes le long d’un sentier, des visages impassibles dans des villes sans cesse détruites/reconstruites, d’ancestraux mégalithes observés en noir et blanc, d’épais nuages qui pourraient sortir du cadre : la photographe porte la précision de son attention sur ce qui fait à la fois la fragilité et la force du vivant. Un arbre, une femme, un homme, indifféremment ou presque, affirment leur présence dans des espaces parfois construits pour durer quand d’autres semblent aussi vulnérables que les corps qu’ils abritent.
D’abord formée à l’anthropologie et à la sociologie dont elle a conservé certaines méthodes, Valérie Jouve s’est saisie de la photographie non pour classifier, mais au contraire rendre au vivant son mouvement, dans une poétique de l’être au monde qui dépasse la fixité. Elle installe sa chambre photographique au coeur des territoires qui la meuvent et dont elle cherche — à travers le temps, la lumière, le détail — à saisir les lignes saillantes, les énergies ou rapports de force. Elle enregistre patiemment les strates d’existences disséminées dont le monde, si chaotique pourtant, pourrait être l’unique abri.
Le film Porte d’Aubervilliers (2021) montre quant à lui la déambulation d’une femme à la lisière de la capitale. D’elle on ne connaîtra ni l’âge ni le nom, uniquement les pensées intérieures dans une ère post-Covid, susurrées par bribes comme pour nous obliger à les extirper de l’incessant brouhaha des travaux et machines. Son corps devient le guide d’une zone aux contours incertains, non-lieu entre délaissés et spéculation immobilière que plus personne ne reconnaîtra après les Jeux Olympiques. En parallèle de l’exposition au CPIF, Du temps, un souffle réunissait à la Galerie Xippas un très bel ensemble récent de visages et « d’êtres d’écorce et de pierre », selon les mots de l’historien de la photographie Michel Poivert.
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Le monde est un abri de Valérie Jouve au CPIF, exposition du 11 février au 14 avril 2024.