Re-enchantment
Ce n’est pas à André Breton, qui voulait réenchanter le monde, que se réfère Oona Doyle, mais à Silvia Federici ; la philosophe féministe. Celle-ci définit le ré-enchantement comme « une réinvention de nos vies autour d’une mise en commun de nos relations avec les autres, y compris les animaux, les eaux, les plantes ». Les œuvres de Teresa Pagowska (1926-2007), proche de la figuration narrative, et de Wanda Mihuleac (1946) de nature poético-conceptuelle, viennent en prologue d’une manifestation principalement portée par des artistes de la génération Y.
L’oubli de Breton n’empêche pas de penser au surréalisme et à ses alentours. Les tableaux d’Ariana Papademetropoulos s’inscrivent dans une lignée magritto-dalinienne, les sculptures de Shuyi Cao dans leur croisement de nature et de pacotille offrent un bel exemple de quotidien réinventé, tandis que les étranges photos d’Angelika Loderer rongées par le mycélium évoquent le bas matérialisme de Bataille. Au-delà de ces comparaisons, on trouve chez tous ces artistes une présence de l’imaginaire comme force politique.
Incantare (enchanter), c’est le nom de l’installation in situ de Bianca Bondi. Un jardin de sable où des vasques dessinent des cratères, espace d’un cérémonial avec les forces primordiales. Outre le lien omniprésent avec la nature, un autre fil rouge court à travers l’exposition, celui des usages de l’histoire. Olga Grotova, partie à la recherche de ses aïeules, cultivatrices dans l’Oural, désenfouit des récits et transmute la terre en peinture ; Manuel Mathieu nourrit ses tableaux essentiellement abstraits de cris et de larmes inspirées par les exactions de la dictature Duvalier en Haïti. Il revient au duo Dorota Gaweda & Eglé Kulbokaité, à des références à Poludnica, sorcière slave des campagnes, et un usage de l’IA de montrer le chemin d’un arrangement avec le présent.
Du 17 février au 11 mai 2024, Thaddeus Ropac, 69 avenue du Général Leclerc, 93500 Pantin
« Wronged »
« Wronged », conçue par le curateur Olivier Renaud-Clément, se présente comme un double hommage à deux grands artistes afro-américains, Yvonne Wells et Winfred Rembert, acteurs des luttes pour les droits civils, et qui chacun témoigne de la réalité du sud des États-Unis. Si les lois Jim Crow ont été abolies au milieu des années 1960, l’esprit qui les a inspirées demeure.
Yvonne Wells se définit comme une conteuse. Dans ses très grands quilts, elle mêle récits de révoltes et de vie détruites par l’emprisonnement, citations de la Bible et abstraction géométrique, faisant éclater les limites du folk art.
Après avoir échappé de justesse à un lynchage, Winfred Rembert (1945-2021) fut emprisonné 7 ans. Au cours de sa détention, il apprit le travail du cuir au poinçon. Il a su porter ce travail artisanal au tableau, réalisant de grandes compositions colorées qui dépeignent les violences exercées sur la population noire. Il donne une visibilité à ces hommes en uniformes rayés qui triment enchaînés dans les champs de coton, ou à ceux que la police agresse au nom d’une war on drugs prétexte. La restitution de ces scènes à la manière d’un art traditionnel est d’une force renversante.
En écho aux œuvres de Wells et de Rembert, un choix de photos d’Isabelle Armand témoigne du pouvoir de la résilience dans les vies de Levon Brooks et de Kennedy Brewer, totalisant à eux deux 33 ans d’emprisonnement pour un meurtre dont ils étaient innocents.
Du 22 février au 30 mars 2024, Galerie Marguo, 4 rue des Minimes, 75003 Paris
Michel Parmentier : « 15 février 1984 - 12 août 1985 »
L’œuvre de Michel Parmentier, la moins encombrée qui soit par l’ombre du sujet peignant, ne s’appréhende pas sans référence à une vie d’artiste marquée par un nombre restreint de décisions. Le choix en décembre 1965 d’un protocole de travail immuable qu’il faut rappeler : pliage (inspiré par l’exemple d’Hantaï) et peinture de bandes horizontales de 38 cm de hauteur en alternance avec des bandes blanches en réserve, le jour de l’exécution donne le titre. Le choix de suspendre son activité en 1968 sans grande déclaration, année où Marcel Duchamp se voyait imposer un silence définitif. Enfin, en 1983, la reprise du travail au point où il l’avait laissé, avec une verve polémique intacte. C’est comme si la toile pliée avait servi de modèle à une vie d’artiste faite autant de marques de présence que de blancs, ou pli et repli (comme d’aucuns qualifient son retrait de la scène).
Sont ici rassemblées quatre peintures de bandes noires de 1984 et 1985. Bien évidemment, le rapprochement de ces œuvres presque semblables nous fait nous interroger sur le sens de ce « presque » : marques de pliure, ultrafines éclaboussures de peinture au bord d’une bande, rebiquage léger des toiles suspendues. Une exposition de Parmentier, c’est toujours une forme de célébration d’une œuvre qui reste un référent majeur pour une certaine idée de la peinture.
Du 2 février au 16 mars 2024, Galerie Loevenbruck, 6 rue Jacques Callot, 75006 Paris
Jim Shaw : Unknown Monsters
Un florilège d’œuvres de Jim Shaw, reflet d’un demi-siècle de son art, depuis la face distordue de Clint Eastwood en inspecteur Harry jusqu’à un fauteuil capitonné flottant dans les airs où tout le monde aura reconnu la figure cachée de Moïse (The Seat of the Law) est présenté chez Praz-Delavallade. Ce sont deux incarnations très nord-américaines de la loi qui délimitent l’étendue du spectre iconographique embrassé par ce maître du dessin « chiadé » et rêveur impénitent.
Parmi les grandes inventions de Shaw, figurent les Dream Objects, ces objets apparus en rêve qu’il matérialise et expose seul ou à côté du récit dessiné du rêve en question. Butt Heads ou Leda and the Saw, d’un humour très deadpan [pince-sans-rire], donnent une belle matière au psy occasionnel qui dort (à peine) en nous.
Par la photo, la vidéo et le dessin, le profane recevra un commencement d’initiation à l’O-isme, cette religion bâtie avec le plus grand sérieux dans l’esprit des meilleures sectes nord-américaines. Où finit la contre-culture et où commence la colonisation des cerveaux ? On voit l’artiste, Orphée en uniforme, jouer d’instruments inspirés par des parties du corps avec une absorption extatique qui ne semble pas feinte.
Du 24 février au 13 avril 2024, Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes, 75003 Paris