Le MAXXI a-t-il le potentiel pour rivaliser avec les grands musées du monde ?
Concurrencer ? Collaborer plutôt. La perception du MAXXI est influencée par le contexte territorial : à Rome, la « ville éternelle » réputée pour ses monuments antiques, le musée est en concurrence avec la Domus Aurea. Mais son contexte, c’est aussi la Méditerranée, donc des portes ouvertes vers le Maroc, le Liban, l’Égypte. Il n’y a plus de capitale unique de la création contemporaine, mais des centres multiples et mobiles. Comment définir le centre et la périphérie ?
Lorsque vous étiez conservateur au musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, de 2012 à 2023, aviez-vous davantage le sentiment d’être proche d’un centre actif ?
Aux Pays-Bas, on n’est pas actif de la même manière. Les personnalités s’inscrivent dans un système général, qui conditionne tout. En Italie, les différences entre les individualités ne sont pas aussi marquées, il y a peut-être moins de limpidité apparente, mais plus de goût pour l’aventure. Dans ce pays, on a l’impression de lutter davantage, mais il existe aussi plus de possibilités de sortir de l’ordinaire, d’atteindre l’extraordinaire, ce qui est plus le fruit de la reconnaissance du travail accompli que du programme. Au MAXXI, j’ai eu la chance de trouver une équipe passionnée et très professionnelle, emmenée par le président Alessandro Giuli, qui s’est tout de suite montré à l’écoute.
En parlant d’aventure, comment a commencé la vôtre en tant que conservateur ?
Je ne sais pas, je n’ai jamais rien décidé.
Vous êtes le fils de Gabriele Stocchi, figure artistique aux multiples facettes, et de l’artiste Luisa Gardini. Vos parents se sont rencontrés au milieu des années 1950 à l’Académie des Beaux-Arts de Rome…
Tout d’abord, je dois dire que mon père, tout cultivé qu’il était, et peut-être même à cause de cela, se qualifiait lui-même d’« amateur (de tout) ». Je baigne dans l’art depuis l’enfance, même sans le vouloir. Cela a été un processus naturel, j’ai grandi avec. L’art n’est pas un métier, mais une façon d’être au monde, de le voir de l’intérieur. Le vrai privilège, c’est de ne pas en être conscient. C’est de cette manière que l’on peut devenir conservateur. J’ai fait des études d’anthropologie. J’ai soutenu une thèse de doctorat sur l’influence de l’art africain sur l’art occidental, de Picasso, Brancusi, Modigliani, jusqu’à Nunzio.
Pourquoi jusqu’à Nunzio ?
Pour me rapprocher de ma propre expérience, de la vraie vie. Quand j’étais au lycée, j’étais l’assistant de Nunzio dans son atelier, je l’aidais à couper du bois, à le brûler, à monter des expositions, toute une série d’activités que je préférais aux études…
Avez-vous eu d’autres expériences culturelles ?
Oui, en travaillant au kiosque à journaux de la Piazza Colonna [à Rome], en faisant des permanences de huit heures pour vendre des journaux. Mais je pense avoir posé les bases de mon activité de conservateur, inconsciemment, en étant DJ. Dans ce métier, il faut composer une nouvelle histoire à partir d’éléments préexistants. C’est le travail du conservateur.
Vous êtes également venu aux journaux d’une autre manière. Depuis janvier 2020, vous êtes le rédacteur en chef du supplément mensuel de quatre pages consacré à l’art dans le quotidien « Il Foglio », toujours très riche et, pour cette raison, très apprécié. Quel est le secret pour combiner haute culture et bon journalisme aujourd’hui ?
La culture est-elle haute ? La vérité, c’est que le travail du conservateur passe aussi par l’écriture. Ce que j’ai voulu promouvoir à Il Foglio, c’est la diffusion des problématiques artistiques auprès du grand public. Pour ce faire, j’ai convié à écrire, dans les différentes rubriques, des artistes, des conservateurs, des architectes ou de brillants journalistes sportifs comme Furio Zara, qui parle de Cindy Sherman avec autant de légèreté que de Messi.
Cela vaut aussi pour vous, qui aimez écrire sur votre équipe de football romaine bien-aimée dans le « Foglio », en citant Mahler et Agostino Di Bartolomei, dans des articles érudits et pas du tout impartiaux…
N’étant pas journaliste sportif, j’écris en tant que supporter. Mais cette aventure, elle aussi, est née d’elle-même, naturellement, comme le fruit d’un processus organique mais fortuit. Il ne sert à rien de faire des plans dans la vie, de toute façon, ils ne se réalisent pas tel qu’on le voudrait.
Quel est le point commun entre l’art et le football ?
Peut-être le rapport entre la dimension individuelle, intime, et celle du collectif. Pasolini disait que « le football est l’ultime représentation du sacré ».
Le monde de l’art, entre les foires, les grandes expositions et les nouveaux musées, voyage sur des rythmes effrénés : serait-ce un péché de ralentir ?
Ce serait une vertu. Plutôt que d’avoir un million de visiteurs au musée, je préférerais qu’un tiers d’entre eux décide d’y rester une journée entière. La valeur d’un musée dépend aussi du temps que l’on y passe. Le musée devrait être en mesure d’offrir une culture lente. Saviez-vous que la « slow culture », à commencer par la cuisine, est née à Rome ? D’ailleurs, lorsque j’étais jeune et que je fréquentais les ateliers d’artistes, je me souviens que nous prenions le temps de parler et surtout d’écouter, et aussi de s’ennuyer – bref, de se perdre un peu.