Pierre Jeanneret et Jean Prouvé, l’architecture de l’urgence
En 1939, l’État français fait appel à l’architecte Auguste Perret pour concevoir la future usine de la Société centrale des alliages légers (SCAL) qui doit être édifiée dans le Puy-de-Dôme, à Issoire. Le chantier nécessite une main d’œuvre importante qui dépasse largement les capacités de la ville. Le journaliste Georges Blanchon soumet trois noms à Jean Matter, en charge du projet avec Marcel Lamourdedieu : Pierre Jeanneret et Jean Prouvé pour construire les baraquements qui hébergeront ingénieurs et ouvriers. Ainsi que Charlotte Perriand, qui doit s’occuper, elle, des aménagements intérieurs. Dix-neuf pavillons « démontables » et préfabriqués voient le jour entre 1940 et 1941. Les bâtiments sont construits selon les principes développés par Jeanneret lors de sa collaboration avec son cousin Le Corbusier et sur le brevet déposé par Jean Prouvé en 1939 : le système d’ « ossature à portique axial ». Ces « baraques » peuvent se monter en une journée et sont facilement modulables.
Le pavillon « Direction et dessin » proposé par la toute jeune maison de ventes NEO Enchères est remarquable pour au moins deux raisons : c’est tout d’abord la seule construction de ce type connue de Pierre Jeanneret et Jean Prouvé à posséder un étage et c’est aussi l’une des rares restées dans un état proche de celui des années 1940, quand les architectes s’y étaient installé pour travailler.
Son propriétaire, Claude Barbat, est un ancien salarié de la SCAL. Il achète le pavillon en 1958, le démonte et l’installe sur son terrain pour en faire sa maison. Il prend soin de celle-ci comme un véritable conservateur de musée et va même jusqu’à concevoir une enveloppe d’aluminium pour la protéger. La peinture verte d’origine est ainsi encore visible sur la plus grande partie du bâtiment ! Les pavillons de la SCAL sont le premier projet d’envergure mené par Jean Prouvé qui développera plus tard ses idées pour poser les bases d’une architecture d’urgence au service des plus démunis. Un humanisme qui se concrétisera avec la réalisation de la « Maison des jours meilleurs » créée en réponse à l’appel de l’Abbé Pierre en 1954, il y a tout juste 70 ans.
« Vente de prestige : Tableaux, design, sculptures, dessins », mardi 26 mars 2024, NEO Enchères, Hôtel Drouot, 75009 Paris, www.neo-encheres.com
Robert Tatin et André Bloc, artistes et architectes
Robert Tatin et André Bloc : deux architectes, deux sculpteurs, deux univers radicalement différents, qui ont créé des œuvres antagonistes mais pourtant jumelles. Robert Tatin est proche des surréalistes, de Breton qui le visite souvent lors de ses expositions dans sa galerie-atelier, rue de la Cerisaie à Paris. Bien que diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris, une bonne partie de son apprentissage artistique se fait sur les chantiers de restauration de châteaux ou d’établissements classés sur lesquels il intervient comme maître-charpentier. Son monde imaginaire est proche de celui du facteur Cheval dont il partage le goût des voyages.
Bloc, lui, est un architecte d’avant-garde, fondateur des revues Architecture d’aujourd’hui en 1930 et Art d’aujourd’hui en 1949. C’est un ami de Le Corbusier. Un urbaniste engagé qui défend le constructivisme tout comme les arts cinétiques et abstraits. Les deux artistes ont tous les deux choisi de faire de leur lieu de vie un espace totalement dédié à leur œuvre : Robert Tatin construit pendant plus de 20 ans, entre 1960 et 1983, son Étrange musée près de Laval, synthèse des arts et de l’artisanat. André Bloc, dès 1952, fait du parc de sa maison de Meudon, un jardin de création où se dressent les monumentales Sculptures habitacles I et II, synthèse de l’art et de l’architecture. Deux collections, proposées par la maison de ventes Pascal Blouet, permettent de croiser les deux œuvres. Trois huiles sur toile de Robert Tatin – Oser, de 1970 (est. 15 000-20 000 euros) ; Vacance, de 1978 (est. 15 000-20 000 euros) et Fleurs de cerisier, de 1966 (est. 6 000-8 000 euros) feront écho aux propos du célèbre critique Otto Hahn, qui formule ainsi les intentions de l’artiste : « Montrer simplement où se cache la vie ». Les deux sculptures, réalisées à la fin des années 1950 par André Bloc, l’une en cuivre (est. 40 000-60 000 euros) et l’autre en plâtre (est. 12 000-15 000 euros) préfigurent les Sculptures habitacles et illustrent le manifeste du groupe Espace créé en 1951 par l’artiste et par Félix Del Marle : « Favoriser la collaboration indispensable du peintre, du sculpteur et de l’architecte ».
« Robert Tatin et les amis artistes de Renée et Pierre Maunoury », lundi 1er avril 2024, maison de ventes Pascal Blouet, 53100 Mayenne.