Moke, peintre
Avec Chéri Samba, Moke (1950-2001) fut un représentant majeur de la scène de Kinshasa. L’exposition riche et vibrante qui lui rend hommage se concentre sur les années 1970 et 1980, au plus fort de l’affirmation et de la reconnaissance d’une œuvre qui se voulait populaire.
Préférant généralement aligner, voire entasser, ses figures sur la même ligne de front plutôt que de les disposer dans un espace construit selon les lois de la perspective, Moke semble avoir voulu tout peindre : du portrait sur le modèle des studios photos ou de l’enseigne aux scènes intimistes, de la célébration de la scène musicale à celle des petits et moins petits commerces. Il a peint les sapeurs comme des enfants et les femmes puissantes avec ce qui ressemble à un véritable amour du sujet.
Dans deux tableaux, en particulier, il fait exploser les catégories. Dans l’un, il dépeint une armée de balayeurs, mains rivées sur la poignée de leur brouette, portant les armes de la bière Skol et auxquels la visière donne des airs de comploteurs. Derrière le folklore, une vision empreinte de dignité et pas loin d’un sentiment de révolte. Dans l’autre, on assiste à une étonnante compression du temps et de l’espace. Un décor de bal en plein air avec au centre deux femmes ceintes d’un pagne qui dansent enlacées, un enfant qui s’accroche à l’une d’elles, une policière qui tente de les saisir, des tables brisées, un pied ensanglanté… Un drame dont nous ne saurons jamais le fin mot. La subversion, elle se trouve peut-être là, dans cette façon qu’avait Moke de se montrer à la fois gentil et mordant, d’habiller la critique sociale aux couleurs de la fête.
Du 28 mars au 18 mai 2024, Magnin-A, 118, boulevard Richard Lenoir, 75011 Paris
Thomas Lévy-Lasne : L’Impuissance
Thomas Lévy-Lasne porte haut et fort la défense de la peinture aussi bien par ses expositions que par des interviews de ses pairs ou par des conférences. Sans qu’il y ait là contradiction, il affirme dans le même temps la capacité de la peinture à se saisir de la réalité contemporaine avec des techniques traditionnelles (et dans son cas, un goût véritable pour la pratique du glacis) et la nécessité d’accompagner cette peinture de discours pour lui permettre d’étendre son action.
« L’Impuissance » qu’il présente lui-même dans un texte qui tient à la fois de la note d’intention et du livret explicatif, réunit des œuvres autour de différents thèmes qui vont des luttes écologiques (policiers allemands pataugeant dans la boue en une parodie de tableau d’histoire), à la disparition de la nature (Dans la Serre, « une foule faisant la queue dans un jardin artificiel »), en passant par les portraits au fusain des amis à travers la communication Zoom où l’intime rejoint le sociétal.
La question du rapport à la photographie est problématisée à nouveaux frais. C’est, tour à tour, le ciel trop beau, trop vrai, de la plage de Hyères qu’une poubelle remet à sa place ; un labour peint avec une exacerbation du détail pour rapprocher la peinture de la terre ; un pot de glace sur un comptoir comme une version française d’un thème pop. Thomas Lévy-Lasne n’oublie pas le clin d’œil ironique à l’abstraction et à Richter en offrant un arbre barbouillé de gris, entre l’effacement et le pas-fini.
Coda de cette exposition, une vidéo dite anxiogène, qui aligne des chiffres et des réflexions glaçantes sur le cours du monde.
Du 14 mars au 11 mai 2024, Les Filles du Calvaire, 21, rue Chapon, 75003 Paris
Michele Ciacciofera : Natura naturans
Être la nature ou travailler comme elle, nombre d’artistes l’ont voulu ou rêvé. Michele Ciacciofera n’appartient pas à cette catégorie mais vise plus simplement à se situer, comme artiste et comme individu, devant ou avec la nature. Il a réuni des sculptures et des tableaux et les a mis en dialogue pour soutenir sa réflexion et sa quête.
Les sculptures qui ressemblent à des totems ont pour colonne vertébrale des branches d’arbres arrachées par le vent que l’artiste a trouvées dans la rue près de son atelier. Coiffées d’objets disparates allant d’une corne animale à une mappemonde en passant par un gobelet à boisson, augmentés de quelques accessoires, elles ont été fixées sur des socles. Ces colonnes participent d’une comédie à moitié-humaine (deux d’entre elles portent des baskets).
Dans les tableaux, l’interrogation sur la place de l’humain s’exprime autrement. D’un panneau à l’autre d’un dyptique, un pingouin et une figure féminine se trouvent une ressemblance. Son œil à lui et sa bouche à elle ont été découpés dans des magazines. Autour d’eux, des silhouettes de poissons, des formes en aplats de couleur dans des tons atténués, et même des ronds à la feuille d’or. La libre improvisation retrouve une mémoire très ancienne.
Une toile dans un style quasi réaliste montre des pingouins sur une banquise colonisée par des drapeaux rouges. Cette vision de cauchemar fixe l’horizon d’une rêverie et d’une spéculation dans laquelle l’artiste semble être engagé. Il emprunte à des représentations mythiques, revisite l’histoire de l’art, nous confrontant ici à un kangourou, là à un pingouin qui penche vers l’humain, faisant surgir ailleurs d’un large coup de brosse une figure hybride.
Du 21 mars au 18 mai 2024, Michel Rein, 43, rue de Turenne, 75003 Paris
Dragclown Affairs
Pas moins de 13 artistes, dont deux qui travaillent en duo, aux œuvresdesquel.les.x s’ajoutent quelques pièces signées Brauner, Dubuffet, Magritte ou Nan Goldin : « Dragclown Affairs » dépasse en tout point la mesure. Rémi Baert, son commissaire, conduit depuis quelques années un travail de recherche et d’entretiens avec des Dragclowns découverts sur les réseaux sociaux. Ceux qui ont été retenus pour cette exposition viennent de Sidney, Madrid, Berlin ou Bordeaux, sont jeunes et ne sont pas représentés par des galeries. I.els performent dans des clubs ou sur des scènes alternatives, plus rarement au sein d’institutions.
Le journal d’accompagnement, riche et documenté, fait découvrir une tendance autant qu’un champ d’études et de réflexions autour de la rencontre de la figure du clown, sa longue généalogie artistique, et de l’affirmation d’identités non-binaires. Si la performance est l’espace d’expression le mieux partagé, aucun médium n’est ignoré par les participants. Derrière les problématiques propres à chacun, c’est la vision romantique du clown au double visage qui domine, ceci sans surcharge dans l’extravagance.
Dans l’impossibilité de tout citer, on se bornera à remarquer Eternity is a long long time, autoportrait photographique de Blake Wilson, un nu artistique sur un tissu à fleurs mauve et devant un cyclo de losanges noir et blanc. Sur son ventre est tatouée une insulte retournée en affirmation identitaire. Ajoutons les dessins de Kae Britton qui donnent à la lutte fantasmée de l’artiste avec son propre corps une réalité saisissante.
Du 25 mars au 15 juillet 2024, Natalie Seroussi, 34, rue de Seine, 75006 Paris